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la grammaire, dans toutes ses difficultés, n’est bien enseignée qu’aux femmes ; quant aux hommes, ils n’apprennent guère leur langue que par l’intermédiaire d’une autre langue savante. Il en est autrement en Grèce, et la grammaire grecque y siège en maîtresse à la base et au faîte de tout enseignement. De là un dédain beaucoup trop grand dans la génération actuelle pour les ouvrages en grec moderne imprimés avant la guerre de l’indépendance.

Les efforts ne se bornent pas néanmoins à reconstituer la langue. Pour donner une idée de l’importance du mouvement littéraire dans le royaume de Grèce, il est utile de citer le nombre des établissemens industriels qu’il alimente. Entre Athènes et le Pirée, on compte quatre fonderies de caractères et vingt-cinq imprimeries ; d’autres ateliers typographiques existent à Syra, Nauplie, Tripolitza, Calamata, Patras, Missolonghi et Lamia. Athènes a dix-huit journaux politiques, et une dizaine d’autres se publient dans le reste du pays. Il est vrai que bien des plaintes s’élèvent en Grèce même contre ce développement de la presse politique. Elle n’est que trop souvent animée d’un dangereux esprit révolutionnaire, violente, injurieuse pour les hommes les plus respectables, dénuée de tout sentiment de respect et de convenance ; mais un mauvais journal, toute fâcheuse que puisse être son action, n’en est pas moins un progrès dans un pays qui ne connaissait, il y a quarante ans, ni discussion, ni publicité, ni vie intellectuelle ou politique d’aucune sorte. D’ailleurs il serait injuste de condamner en bloc la presse athénienne d’après de misérables folliculaires. Elle compte aussi des hommes honorables et des organes dignes d’estime : la Légalité (Εύνομία), la Régénération (Παλγγενεσία), l’Ami du Peuple (Φιλολαος), le Grec patriote (Φιλόπατρις Ελλην), la Grèce (journal français), défendent avec beaucoup de courage et de vrai talent la cause de l’ordre et de la liberté constitutionnelle contre les attaques du parti révolutionnaire ; puis, dans un ordre plus élevé de publications périodiques, on rencontre un journal archéologique, trois recueils littéraires, deux de médecine, un de jurisprudence et un de théologie. Toutefois le nombre des recueils sérieux qui paraissent à Athènes est trop considérable pour que le public en soit restreint dans un petit état de douze cent mille âmes ; c’est en pays turc que se trouve la majorité des lecteurs de ces publications, qui apportent un concours des plus puissans à la propagande intellectuelle que la Grèce poursuit dans le Levant.

C’est le grand malheur de la littérature néo-hellénique que le grec soit aussi peu connu qu’il l’est en Occident, particulièrement en France. Un bien petit nombre de personnes sont en état de lire dans le texte original, et sans l’aide d’une traduction, les chefs-d’œuvre de. l’antiquité grecque ; on ne saurait donc s’étonner que