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féconde que celle de ses ancêtres, et elle gardera toujours la primauté d’intelligence, de civilisation et d’influence morale sur les peuples qu’elle aura contribué à délivrer. La race grecque est en effet l’intermédiaire obligé par lequel les idées et la civilisation de l’Europe pénètrent au sein des peuples chrétiens de l’Orient. Le contact direct des Européens ne produit pas sur ces peuples un effet aussi heureux : il corrompt plus qu’il ne civilise, il porte la mort plutôt que la vie. C’est dans le grand travail de décomposition et de recomposition dont les contrées qui ont été le berceau de nos connaissances sont aujourd’hui le théâtre, un réactif trop puissant, qui brûle tout ce qu’il touche, qui détruit sans reformer. Pour avoir une action salutaire, il faut peut-être qu’il se soit affaibli, qu’en passant par l’intermédiaire d’une race qui tient autant de l’Orient que de l’Europe, il soit devenu plus propre au milieu dans lequel il doit agir.

L’œuvre des Grecs dans les contrées orientales, la mission qui leur est dévolue et qu’ils s’appliquent à remplir sans peut-être en comprendre eux-mêmes toute la portée, est donc grande et belle ; mais une nation ne saurait travailler avec succès à une œuvre semblable, si elle ne possède pas un centre de vie intellectuelle et morale, un point d’où rayonnent tous les efforts et qui leur donne à la fois l’impulsion et l’unité. Ce centre, c’est le royaume hellénique. C’est pour cela que le microscopique état de la Grèce, tout faible, tout troublé qu’il est, demeure d’une importance capitale dans les affaires de l’Orient, et ne saurait trop attirer l’attention des politiques. C’est dans ce sens que l’on peut affirmer, en dépit du découragement et des déceptions de quelques-uns des philhellènes, que l’œuvre commencée à Navarin n’a pas été perdue, qu’elle a été au contraire le point de départ d’une ère nouvelle pour les chrétiens de la Turquie. Si la race grecque est l’intermédiaire et comme la distributrice des idées de l’Europe parmi les Orientaux, c’est à Athènes qu’elle les reçoit, qu’elle se les approprie ; c’est de là que, passant du rôle de disciple à celui de maître, elle les répand parmi ceux qui sont moins préparés qu’elle à les recueillir de première main.

Pour se convaincre du rôle important que joue la race grecque en Orient, il ne faut pas se borner à visiter les échelles des côtes de l’Asie-Mineure et de la Turquie, à suivre la ligne des bateaux à vapeur ; il faut pénétrer dans l’intérieur du pays et vivre au sein des populations. Alors on verra que chaque ville possède un médecin, un Grec élevé à Athènes, que chaque ville possède un maître d’école, un Grec élevé à Athènes. Si on rencontre un avocat capable de soutenir les procès devant les tribunaux consulaires, un industriel, un commerçant riche et faisant de grandes affaires, un prêtre s’élevant au-dessus