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grande navigation entre ces contrées et les ports de l’Europe occidentale. Les Grecs ont une vie de famille plus intime, plus unie et plus pure que bien des peuples méridionaux plus avancés qu’eux ; ils traitent les femmes avec respect, et par cette seule raison il est permis d’affirmer que la perspective d’une civilisation supérieure leur est ouverte. Ce sont là les traits les plus caractéristiques qui distinguent le Grec du Turc, paresseux et craignant la mer, de l’Albanais, sauvage, grossier et perfide, qui avilit sa femme jusqu’à en faire sa servante et presque sa bête de somme, du Slave, courageux, mais sans intelligence politique, et jusqu’à présent incapable de dépasser un certain degré de civilisation, du Roumain, plongé dans toutes les fanges de la corruption byzantine, du Juif et de l’Arménien, cupides tous les deux, et ne sachant pas faire du produit de leur travail un usage profitable aux autres. Ce sont ces qualités qui, même dans la servitude, rapprochent les Grecs des sociétés occidentales, et qui leur ont valu des sympathies que l’on a pu ébranler, mais non jamais entièrement déraciner.

Pour quiconque étudie la situation de la Turquie depuis trente ans, deux faits dominent les graves événemens qui s’y sont accomplis sans amener encore la solution de la question d’Orient : c’est la décadence de plus en plus irrémédiable des musulmans et en même temps les progrès de la population chrétienne. Ces progrès se sont réalisés dans toutes les branches. Depuis trente ans, les chrétiens de la Turquie ont grandi en nombre, en intelligence, en moralité, en instruction, en richesse. Ce ne sont plus les rayas abaissés et tremblans du début de ce siècle : si les tanzimats, les hatti-cherifs et les hatti-houmayouns sont demeurés lettre morte, si rien n’a été réellement fait pour établir l’égalité politique tant de fois promise des religions et des races, ils ont aujourd’hui le sentiment de leur force et de l’impuissance croissante de leurs dominateurs ; ils comprennent que la prépondérance passera bientôt entre leurs mains. Ainsi se prépare l’unique solution praticable et juste du grand problème oriental, celle qui s’accomplira par la régénération et l’affranchissement des races de l’Orient sur le sol qu’ont possédé leurs ancêtres. Dans ces deux faits de premier ordre, l’initiative et l’action principale appartiennent incontestablement à l’élément grec. Lorsque l’empire turc s’écroulera définitivement, et que de ses débris sortiront de jeunes nations chrétiennes, la part territoriale des Grecs ne sera sans doute pas celle que supposaient les philhellènes de 1821, celle que les Grecs eux-mêmes rêvent dans leurs aspirations d’avenir : elle sera peut-être la plus restreinte de toutes ; mais la race hellénique n’en aura pas moins à s’enorgueillir d’avoir semé une moisson dont elle ne recueillera pas tous les fruits. Elle aura su accomplir en Orient une œuvre aussi grande et aussi