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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

si elle eût craint d’être dupe d’un songe ; puis une faible rougeur passa sur son visage, elle se souleva, et, lui tendant la main : — Pauvre Robert !… dit-elle. — Il saisit cette petite main, et, tombant à genoux, il pleura comme un enfant. Elle se fit alors apporter son fils, et appelant votre oncle : — Père, dit-elle, voici l’heure de pardonner : c’est ma faute, vois-tu, je n’ai pas su me faire aimer. Mon fils, j’espère, sera plus heureux que moi. — S’adressant alors à son mari : — Robert, vous n’avez pas vu mon père ? — Tous les deux comprirent. Ils osèrent se regarder pour la première fois et se saluèrent.

« Peu d’instans après, la fièvre vint, puis le délire. Il semblait que l’agonie allait commencer ; mais la frêle créature résistait à la mort. La nuit, le jour suivant s’écoulèrent dans de cruelles alarmes. D’autres nuits et d’autres jours, des semaines entières ont passé. Son père et son mari ne l’ont pas quittée. Le mieux est venu et a ramené l’espoir et la confiance… Ils partent tous ensemble pour l’Amérique dans la seconde semaine de ce mois. »


Il allait donc s’accomplir, ce voyage autrefois rêvé par Robert ; mais celle qui avait dû l’accompagner d’abord restait seule en arrière, ombre ignorée du passé.

Je regardai la date de cette lettre : il y avait deux semaines déjà qu’ils étaient en mer.


Mars 18…

Neuf années ont passé, neuf années toutes semblables, où pas un jour n’a différé de l’autre : j’ai vécu de la vie de mes compagnes, accomplissant comme elles, dans un ordre calculé et à des heures invariables, la monotone série de nos travaux et de nos prières. Aujourd’hui pourtant je vis à part : des évanouissemens subits et prolongés ont causé de l’inquiétude autour de moi, et on m’a retirée des salles communes. J’ai une cellule où je vis seule le jour, où je dors seule la nuit. C’est un adoucissement que je n’ai pas demandé, mais dont je jouis avec bonheur.

J’ai employé ce temps à recueillir mes souvenirs, à écrire cette longue confession. Peut-être sera-t-elle pour d’autres un enseignement profitable. Peut-être le récit de mes misères, de mes remords, de mon expiation, désarmera-t-il ceux que j’ai scandalisés par mes égaremens, et m’obtiendra-t-il l’aumône d’une prière : l’indulgence est aisée envers les morts, et quand on lira ces lignes, celle qui les écrit aura depuis longtemps disparu de ce monde.

Il m’en a coûté de remuer toutes ces cendres ; je l’ai fait pourtant sans rien dissimuler. Ma tâche est terminée. Il y a des états de