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main et les jours suivans, jusqu’à ce que j’eusse arrêté un plan de conduite.

Le lendemain, de très bonne heure, le docteur arriva. Il recula en m’apercevant.

— Vous le voyez, dis-je en lui tendant la main, je m’en vais de ce pas au cimetière.

— Que se passe-t-il donc ? dit-il en me faisant asseoir à ses côtés. Ce changement est incroyable ; avouez tout de suite que vous avez commis quelque imprudence, ou bien vous me cachez un gros chagrin ? … Dites-moi la vérité, ma bonne fille…

— Rien, docteur, rien de tout cela.

Il me regardait en secouant la tête, tandis que ses doigts comptaient les folles pulsations de mes artères.

— Venez, docteur, dis-je brusquement ; si vous voulez me sauver, vous le pouvez. Cela ne dépend que de vous… Dites un mot, et votre Madeleine revient à la santé.

— Voyons ! Qu’est-ce que c’est ?… Quelque folie ?

— Oui, une folie, mais une folie inoffensive, qui ne fera de mal à personne, au contraire… Je voudrais voyager… Ne riez pas, docteur ; ce que je dis là est la vérité même. L’ennui me tue ; il dévore mes jours et mes nuits ; un ennui lourd comme le plomb, voyez-vous ? … Vous ne connaissez pas cette maladie-là, vous !

— Si, si, elle a un vilain nom, ma pauvre Madeleine.

— Ah ! la maladie est plus laide que le nom, croyez-le. Docteur, si vous êtes mon ami, vous persuaderez à mon oncle de m’emmener, n’importe où, pourvu que ce soit bien loin, en Espagne, en Italie, en Chine, si vous voulez.

— Allons ! allons ! la chose n’est pas impossible, et le moyen n’est pas mauvais.

— Oui, mais, docteur, il faut que ce soit tout de suite ; je ne veux pas rester ici quatre jours ; je serais morte avant…

— Quel volcan ! Et pourquoi n’arrangez-vous pas cela vous-même avec votre oncle ? Il ne sait rien vous refuser.

— Ah ! mon bon, mon excellent ami, c’est que ce n’est pas tout encore… Il faut persuader aussi à mon oncle que ce voyage, nécessaire pour moi, serait funeste à Louise.

— Mais non ; je ne peux pas dire cela. Louise est fraîche comme l’aurore, et se porte à merveille. D’ailleurs, je la connais, rien au monde ne pourrait la décider à vous laisser partir sans elle, souffrante comme vous l’êtes.

— Voilà ce que je craignais, m’écriai-je avec découragement ; eh bien ! renonçons à tout cela. Autant rester ici et en finir tout de suite.

— Mais, mon enfant…