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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

— Et moi ? dit tout doucement Louise.

Je tressaillis ; je l’avais oubliée.

— Toi, oui, toi seule, répondis-je après un court silence, et je sortis du salon, laissant chacun fort scandalisé de cette liberté de tout dire que m’accordait mon oncle.

J’allai m’accouder sur la balustrade de la terrasse, et je donnai libre cours à mes larmes. L’air était lourd ; pas un souffle de vent. Les fleurs, alanguies par la chaleur du jour, n’envoyaient que d’âcres parfums ; un malaise orageux pesait sur la nature entière. Le ciel, où mes yeux cherchaient en vain un encouragement, était sombre, et par momens un éclair silencieux rayait les masses noires des nuages, qui s’amoncelaient lentement. Je me laissai glisser sur un banc, à l’angle de la terrasse.

— C’est blasphémer que de nier l’amour quand on aime, Madeleine ! me dit Robert, qui s’était approché sans que je le visse, et qui s’assit près de moi. Avez-vous songé à ce qu’aurait souffert celui… dont vous m’avez parlé un jour,… celui que vous aimez, s’il vous avait entendue tout à l’heure reniant sa foi et brûlant ce que votre cœur adore ?

— Vous prenez trop de soin pour lui ; rassurez-vous, répondis-je. Celui que j’aime ne s’inquiète guère de moi, je vous jure ; il est heureux, il m’oublie.

— Vous l’aimez donc toujours ? dit-il tout bas.

— Si je l’aime ? m’écriai-je avec désespoir ; mais j’en meurs !… Vous ne le voyez donc pas ? Personne ne le voit, personne ne le comprend… Ah ! que ne suis-je déjà un atome de cette poussière que je foule à mes pieds !…

— Madeleine, on ne doit pas parler de la mort à votre âge.

— C’est vrai, repris-je amèrement ; il faut rire, n’est-ce pas ? et ne pas importuner les heureux… Qu’ai-je fait pour tant souffrir ?… Mais la paix se fera un jour, bientôt, je le sens… Peut-être alors comprendrez-vous, Robert, de quoi l’on meurt à mon âge…

Je m’arrêtai éperdue devant le regard qu’il attacha sur moi, et je m’enfuis dans ma chambre. — Qu’ai-je fait ? me dis-je en tombant sur mes genoux, écrasée par la honte ; me suis-je trahie ? En suis-je donc à ce point d’abaissement ?… Ah ! ce regard, il me brûle ; si je pouvais l’effacer de tout mon sang ! Cœur misérable, tu t’es livré !… Eh bien ! il faut fuir, partir à tout prix ; je ne m’exposerai pas à rencontrer de nouveau ces yeux… Je ne veux pas rougir devant lui.

Je réfléchis quelque temps, puis, prenant une résolution soudaine, je me levai, et j’écrivis au docteur Bruneau, que je connaissais depuis mon enfance et qui m’aimait comme un père : « J’ai besoin de vous ; venez ! » Quand ce billet fut parti, je me sentis plus calme. Je me couchai, bien décidée à garder la chambre le lende-