Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
REVUE DES DEUX MONDES.

cette longue journée ; un nuage obscurcit ma vue quand la porte se referma derrière elle : nous étions seuls. Je levai involontairement les yeux sur Robert, et je rencontrai les siens fixés sur moi avec une expression inquiète qui me toucha. — Eh bien ! dit-il, qu’avez-vous résolu, Madeleine ? que dois-je craindre ?

Je gardai le silence : une chaîne de fer semblait sceller mes lèvres. Je voulais lui dire : — Je ne vous aime pas, — et je ne pouvais me résoudre à prononcer de tels mots ; je les repoussais, et il ne m’en venait point d’autres. Un lourd silence pesait sur nous, le temps passait, et Louise pouvait revenir.

— Madeleine, reprit-il, n’avez-vous donc rien à me dire ?

— Que vous dirai-je ? répondis-je en essayant de sourire. Cet amour dont vous me parliez hier, cet amour si récent n’est pas encore, grâce à Dieu, de ceux qui ne peuvent mourir. Oublions-le…

— Oublier ! et le puis-je ? s’écria-t-il avec l’accent d’une douleur véritable. Qu’avez-vous dit ? Est-ce là votre sentence ? Ne me laissez-vous aucun espoir ?

Il s’arrêta, et comme je gardais le silence : — C’est donc vrai que vous ne m’aimez pas ? Ah ! quel mal vous me faites !… Si je pouvais croire que c’est Louise qui nous sépare !… Laissez-moi tenter… Si elle me déliait de mes engagemens, consentiriez-vous ?…

— Non, non ! Louise ne saurait rien changer à ce qui est…

— Mais c’est de la haine, murmura-t-il ; que vous ai-je fait ?

— Vous venez trop tard, répliquai-je en détournant la tête.

— Trop tard !

— Je vous dois la vérité, repris-je avec effort ; aussi bien il faut en finir !… Sachez donc que ce cœur, auquel vraiment vous attachez trop de prix, je l’ai donné.

Je ne sais comment ce mensonge s’échappa de mes lèvres. J’étais, il est vrai, décidée à ôter à Robert toute espérance ; mais je n’avais rien imaginé, rien résolu pour cela. Ce fut comme une inspiration subite, et l’effet fut plus grand que je ne pouvais l’attendre.

— C’est impossible, dit-il, c’est impossible ! Quoi ? ces yeux limpides et profonds m’ont à ce point trompé ! Ils ont si bien caché vos secrets ! Comment n’ai-je rien su, rien soupçonné ?

— Tout le monde l’ignore, répondis-je précipitamment, tant j’avais hâte d’échapper à cette nécessité de faire mentir mon cœur et ma bouche. Robert, c’est à votre honneur que je confie cet aveu. Il s’inclina sans répondre ; nous gardâmes le silence longtemps.

— Allons ! reprit-il, tout est donc fini ! Adieu, mon beau rêve !

Il fit quelques pas vers la porte, puis, revenant soudain : — Je le connaîtrai, s’écria-t-il, celui que vous me préférez ; je le connaîtrai !

— Et quand cela serait, dis-je avec calme, vous vous souvien-