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moment dans ses bras est celle qui l’aime le plus. À cette réflexion, elle ôte son masque, et Donato reconnaît Marietta, sa fiancée. — Voilà celle que tu dois aimer ! — dit la ballerine en se découvrant le visage. Pâle, tremblante et désespérée de ce grand sacrifice, elle se sauve, tenant à la main un laurier d’or que vient de lui remettre un grand admirateur de son talent, et elle s’écrie : « Plus d’amour ! L’art et la gloire, voilà ma seule pensée désormais ! » Avouons que Mignon, la divine zingarella, ne se serait pas mieux conduite que la Zanzara dans une pareille circonstance.

J’avouerai, en finissant cette analyse rapide, que le ballet est intéressant, et qu’il y a dans ces trois actes des situations dignes vraiment d’une œuvre d’art. Les décors sont beaux, les costumes très variés, et il y a parmi les tableaux qui se succèdent dans ces trois actes une scène vraiment originale : c’est le bal masqué de la fin, où apparaissent sous leur costume pittoresque tous les types de l’ancienne commedia dell’arte, les pierrots, les pantalons, les arlequins, les colombines, dont chaque groupe danse sur un rhythme particulier ; l’ensemble est gai et d’un effet vraiment comique. La musique, sans être bien distinguée de style, est facile, suffisamment colorée et bien rhythmée surtout, qualité indispensable dans l’accompagnement d’un ballet. C’est l’œuvre d’un compositeur italien très fécond, M. Giorza, qui a écrit la musique d’un grand nombre de ballets accueillis toujours avec beaucoup de succès en Italie. Quant à M. Rota, qui est le véritable auteur de la Maschera, c’est un artiste plus célèbre encore que le musicien, car, dans les nombreux scenario qu’on a représentés de lui, il a mis de la poésie et une entente habile de l’ordonnance de groupes dansans. L’auteur de la Maschera, qui se présente pour la première fois au public parisien, a produit un ballet : les Blancs et les Noirs, qui a été reçu avec enthousiasme dans toutes les grandes villes de l’Italie. Amina Boschetti, pour qui je crois a été tracé le rôle de la Zanzara, jouissait aussi d’une grande réputation dans son pays. C’est une femme d’une taille moyenne, bien prise et vigoureuse. Douée d’une physionomie mobile, elle exprime avec énergie et vérité les divers sentimens qu’elle éprouve, et sa pantomime vraiment italienne rappelle la ferme accentuation de la Ristori. Ceux qui n’ont pas peur de l’originalité et qui savent apprécier les forces vives de la nature dirigées par un art incontestable, ceux-là trouveront dans Mme Boschetti un talent curieux et piquant. Elle va, elle vient, elle bondit comme une lionne et retombe sur ses pieds solides avec une rapidité vertigineuse. Elle est aussi étonnante de précision quand elle se suspend au cou de son partenaire, M. Mérante, et quand elle exécute un point d’orgue d’entrechats, dont les mouvemens sont aussi serrés qu’un trille aigu de Mlle Patti ; mais ce que la cantatrice ne pourra jamais réaliser, c’est de courir à reculons sur la pointe de ses orteils et de faire ainsi des voltiges qui excitent l’étonnement même de cette minorité de la fashion qui juge en premier et dernier ressort les danseuses qui passent sur la scène de l’Opéra. Reconnaissons aussi que les plus célèbres danseuses qu’on a admirées à Paris de-