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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




29 février 1864.

Parmi les belles pages qui ouvrent le nouveau volume que M. Guizot vient d’ajouter aux Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, il est des considérations élevées qui s’adressent en ce moment avec une merveilleuse opportunité au monde politique européen. « L’esprit de conquête, dit M. Guizot, l’esprit de propagande, l’esprit de système, tels ont été jusqu’ici les mobiles et les maîtres de la politique extérieure des états… Qu’on jette de haut un coup d’œil sur l’histoire des rapports internationaux européens, on verra l’esprit de conquête, ou l’esprit de propagande armée, ou quelque dessein systématique sur l’organisation territoriale de l’Europe, inspirer et déterminer la politique extérieure des gouvernemens. Et, soit que l’un ou l’autre de ces esprits ait dominé, les gouvernemens ont disposé arbitrairement du sort des peuples ; la guerre a été leur indispensable moyen d’action… Que ce cours des choses ait été le résultat des passions des hommes, et que, malgré ces passions et les maux qu’elles ont infligés aux peuples, la civilisation européenne n’ait pas laissé de grandir et de prospérer, et puisse grandir et prospérer encore, je le sais ; c’est l’honneur du monde chrétien que le mal n’y étouffe pas le bien… Mais je tiens en même temps pour certain que ces divers mobiles ne sont plus en harmonie avec l’état actuel des mœurs, des idées, des intérêts, des instincts sociaux… L’étendue et l’activité de l’industrie et du commerce, le besoin du bien-être général, l’habitude des relations fréquentes, faciles, promptes et régulières entre les peuples, le goût invincible de l’association libre, de l’examen, de la discussion, de la publicité, ces faits caractéristiques de la grande société moderne, exercent déjà et exerceront de plus en plus contre les fantaisies guerrières ou diplomatiques de la politique extérieure une influence prépondérante. » On se réconforte avec plaisir, aux accens de ce haut et confiant langage, dans la situation incertaine où nous nous trouvons.