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Boufflers, qui faisait les honneurs des salons du Temple, chez le prince de Conti ; là encore il voyait les gens de lettres et les philosophes ; il rencontrait au contraire chez la comtesse de La Marck, qui était de la famille de Noailles, les représentans et les amis de la vieille cour : c’était une autre sorte d’opposition, celle de ce qu’on appelait alors le « parti des dévots. » Mme de Brionne enfin, de la maison de Lorraine, Mme de Mesmes, d’autres encore, cherchaient à l’attirer vers Choiseul et vers l’opposition parlementaire. Gustave, pris à partie, non-seulement comme un arbitre autorisé, mais comme une précieuse recrue à gagner et à convaincre, était trop personnellement intéressé, à vrai dire, pour être fort impartial, et il se contentait avec raison d’écouter de bonne grâce tous les plaidoyers ; mais on conçoit que les parlemens, par exemple, avaient le tort infiniment grave, à ses yeux, de ressembler de loin aux diètes suédoises, qu’il espérait bien dompter. Cela ne l’empêchait pas de répéter avec aisance les lieux communs déjà fort en honneur sur les droits des nations et sur la liberté ; il souffrait volontiers qu’on le prémunît contre l’enivrement de la puissance royale, et qu’on lui demandât à l’avance l’engagement de ne pas abuser du pouvoir dont il serait un jour investi.

Ses libérales institutrices n’attendirent pas longtemps le moment où il serait mis en demeure d’appliquer leurs doctrines. À peine était-il depuis quelques semaines à Paris que la mort subite du roi Adolphe-Frédéric, son père, mit un terme à son voyage en l’appelant au trône. Il était dans la loge de la comtesse d’Egmont, à l’Opéra, quand le comte de Creutz vint, le 1er mars 1771, lui apporter cette nouvelle. Mme d’Egmont lui dit : « Contentez-vous, sire, d’être absolu par la séduction, ne le réclamez jamais comme un droit. » Le comte Scheffer partit immédiatement pour Versailles, où il n’arriva qu’à près de minuit ; le roi lui donna audience, quoiqu’il fût déjà couche, grâce si singulière, dit Mme Du Deffand, qu’elle n’avait encore été accordée à personne. Louis XV s’informa comment le nouveau roi de Suède voulait être traité : si c’était en roi, il irait le visiter dès le lendemain, et, lorsqu’il viendrait à la cour, il lui donnerait la droite ; mais Scheffer répondit que sa majesté suédoise continuerait à garder l’incognito.

L’hôtel de la légation suédoise n’en fut pas moins désormais comme une résidence royale, vers laquelle affluaient tous les hommages. Gustave y passa les premiers jours de son nouvel état dans un deuil et une solitude pendant lesquels il n’admit d’autre société que celle de Marmontel. Le tableau que ce dernier a tracé dans ses mémoires de la douleur du prince et de son dégoût de la royauté respire un parfum de banalité philosophique et sentimentale que la