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grand personnage et faisait jouer les grandes eaux pour lui ; cette gloire lui avait valu des lettres de noblesse et une position très élevée. Le troisième Tessin hérita de son crédit ; tout en restant protecteur des arts, auxquels il devait sa haute fortune, il s’engagea dans la vie politique et se trouva porté rapidement aux premières fonctions. C’est à la France qu’il emprunta particulièrement les séduisans dehors, le goût éclairé, le respect des choses de l’esprit qui lui assurèrent parmi ses compatriotes une influence longtemps incontestée : son parent, le maréchal comte Éric Sparre, ambassadeur de Suède à Paris, dont Saint-Simon rapporte les reparties spirituelles, le faisait venir dès 1715 (il n’avait encore que vingt ans) et le présentait à Versailles. Tessin figurait comme ambassadeur lui-même à la cour de France de 1739 à 1742, et, grâce au crédit dans lequel il savait s’y maintenir, il y obtenait pour sa patrie d’importans avantages. Les écrivains et les artistes rencontraient dans ses salons la plus magnifique hospitalité, ou bien il les allait trouver lui-même dans les cercles à la mode, lisant ici et là ses œuvres françaises, comédies et contes : le vieux Fontenelle, Marivaux, Piron, Favart, le comte de Caylus, Boucher, étaient de ses amis. Il s’occupait en même temps de réunir d’importantes collections d’objets d’art ; à la mort de Crozat, en 1740, il acquit une bonne partie de son riche cabinet, et les admirables dessins de maîtres qu’il obtint de la sorte, dispersés ensuite, se retrouvent aujourd’hui soit au musée royal de Stockholm, soit dans nos galeries du Louvre. C’était d’ailleurs par son entremise et le plus souvent sur son avis, fort éclairé, que les commandes du gouvernement suédois parvenaient aux artistes parisiens. Tout cela contribuait à lui donner au milieu de notre société française une grande situation ; il y était devenu, comme l’appelle d’Argenson, le Lucullus suédois, le maître des élégances, magister elegantiarum. Telle était aussi sa renommée au dehors que Frédéric II, lors du mariage de sa sœur avec l’héritier de la couronne de Suède, en juillet 1744, demanda qu’il vînt représenter sa cour pendant les fêtes qui devaient avoir lieu à Berlin. Arrivés en Suède, Adolphe-Frédéric et Louise-Ulrique honorèrent d’abord Tessin d’une amitié toute familière : aux fêtes de Noël 1745, la princesse, déguisée en chauve-souris, une lanterne dans une main, une canne dans l’autre, venait le surprendre et s’attabler chez lui au repas de famille. Quelques semaines après, et le jour même de la naissance de Gustave III, elle envoyait à Tessin une plume d’or enrichie de pierreries avec laquelle il dut signer, suivant une promesse antérieure, l’engagement d’accepter la charge de gouverneur auprès du futur héritier de la couronne. Toutefois, quand le père et la mère de Gustave. III montèrent sur le trône en 1751, Tessin avait pris un rôle marqué dans les factions intérieures, et ce rôle n’avait pas