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importans de ses créations subsistèrent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; nos archives des affaires étrangères contiennent les curieux témoignages des efforts que tenta M. de Galonné, de 1785 à 1787, pour faire rentrer en France, de gré ou de force, ceux de nos ouvriers qui étaient allés s’établir dans la ville d’Alingsos, et y avaient monté des manufactures de bas de soie dont la concurrence donnait alors à la fabrique lyonnaise les plus vives alarmes[1].

Le mélange intime des peuples, non-seulement par les idées politiques et morales, mais par la communauté des intérêts matériels, par la navigation et le commerce, ne suffisait pas à la ferveur du XVIIIe siècle ; il excitait encore, on l’a vu, le développement intérieur de chaque pays, afin que de toutes parts des ressources particulières utilement exploitées vinssent concourir à la propriété commune : son génie d’initiative et d’invention a enfanté l’industrie moderne, et l’on sait de quelle façon il a recommandé le retour à l’agriculture, la réforme de ses procédés, toute la science nouvelle qui se rapporte à l’économie domestique : Joseph II labourait un champ en dirigeant de ses propres mains la charrue, et l’on se rappelle quel était l’engouement de la France pour les innovations agricoles, que la mode elle-même adoptait. Il n’en était pas autrement en Suède, d’après le curieux témoignage du comte Tessin, qui, de Stockholm, écrivait ces lignes en 1762 :


« Jamais l’agromanie n’a compté un si grand nombre d’adeptes ; c’est la maladie épidémique de nos jours. Les modèles multipliés de charrues à défricher, à creuser, à labourer, les aratoires, les sarcloirs, les semoirs imaginés par Tull, par Du Hamel, par Châteauvieux, par La Plombanie, par nos Suédois et par tant d’autres, sont d’une exécution dispendieuse et ne servent qu’à embrouiller. Pourquoi rendre compliqué un ouvrage dont la simplicité fait l’âme et le succès ? Que deux ou trois personnes sensées de chaque pays donnent des avis digérés à leurs compatriotes, il faut être de bien mauvaise humeur pour y trouver à redire ; mais que la mode fasse écrire à tout le monde des songes creux, et qu’un essaim de législateurs en agriculture nous fasse tourner la cervelle, c’est à quoi je ne saurais m’accoutumer. Cette manie passera comme toute autre, après avoir laissé son empreinte à notre siècle… Plus le monde est avide de projets, plus il faut être réservé à en donner : un repas d’affamés ne doit pas être servi trop chaud. »


Bien qu’ils fussent d’un moraliste un peu morose, ces conseils n’étaient peut-être pas hors de propos. Comme la France de Louis XV, la Suède, vers le milieu du XVIIIe siècle, était tourmentée d’une ardeur impatiente, d’une ambition d’esprit malaisée à satisfaire, d’un désir de prospérité matérielle surexcité par le souvenir des maux

  1. Nous donnerons à part tout le développement et les preuves de cet intéressant épisode des mœurs industrielles du XVIIIe siècle.