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de bonne heure ses sympathies et ses pensées vers Paris et vers la cour de Versailles.

Pendant le XVIIe siècle, notre influence s’était exercée principalement sur les cours par notre politique, et sur les esprits d’élite par notre littérature. S’élargissant sur une si ferme base, cette influence se répandit au loin pendant le siècle suivant ; elle descendit parmi les peuples, dans les classes moyennes ; elle servit d’organe à quelques-unes des idées les plus conformes à la justice éternelle et au bon sens, et si elle ne fut pas sans mélange, c’était à ceux qui la recevaient de faire leur choix et de se défendre, car, loin de détruire chez les nations l’originalité propre, elle tendait au contraire à l’encourager et à la soutenir ; elle excitait plus encore qu’elle ne dominait, elle éveillait au lieu d’assoupir ; elle était de nature à secouer la lenteur, à enhardir la timidité, à rassurer l’inexpérience en la dirigeant, bien plutôt qu’à éteindre le génie national ; elle était en un mot désintéressée dans son œuvre. La preuve en est que le moment de son action la plus intense a été immédiatement suivi, comme on l’a vu au commencement du XIXe siècle, d’un réveil du sentiment individuel plus énergique et plus profond que jamais dans chacune des nations de la famille européenne. Il en a été ainsi pour les peuples du Nord en particulier ; ils ont eu, après, leur période d’imitation française, une efflorescence remarquable d’originalité vive. La Suède, même pendant sa servitude apparente, avait ses libres esprits, ses oiseaux sauvages qui parcouraient les airs : Swedenborg et Bellman ; on ne saurait soutenir que l’influence française au XVIIIe siècle l’ait corrompue, et l’on peut d’autant moins accuser Gustave III que cette influence était puissante en Suède longtemps avant lui. Charles XII prenait grand plaisir à des mascarades copiées sur les fêtes somptueuses de Versailles, ou bien aux représentations du Bourgeois gentilhomme, qu’on jouait à sa cour avec tous les intermèdes et « agrémens ; » il se faisait lire les tragédies de Racine dans ses campagnes, et nulle ne lui plaisait plus, on le comprend, que Mithridate, où il goûtait fort le grand projet médité par le roi barbare contre les Romains. On lui lisait aussi Boileau ; mais, arrivé un jour à ce passage de la huitième satire où l’auteur traite d’écervelé, en vers fort plats à vrai dire, le héros macédonien, il arracha le livre des mains de son lecteur Fabrice et le mit en pièces. Charles XII signait de Bender, comme Napoléon de Moscou, des ordonnances concernant sa troupe ordinaire de comédiens français ; c’était là ce même roi qui refusait de parler aux ambassadeurs étrangers autrement que dans sa langue, et qui ne consentait pas surtout à parler français malgré l’usage presque constant déjà de la diplomatie. Avec sa rudesse naïve, qu’il ne pratiquait d’ailleurs qu’envers lui-même (car il était doux et bon envers les autres), avec