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Après la mort de son second mari, elle trouva des moyens d’existence en vendant du poisson dans les rues d’Exmouth, sa ville natale. Aujourd’hui, accablée par l’âge, elle m’a paru réduite à un état bien voisin de la pauvreté. Ses traits annoncent une grande force de caractère : quand on lui parle des événemens historiques dont elle a été le témoin, sa figure s’anime, un sourire d’orgueil brille à travers ses rides, et sa mémoire, qui se réveille comme par éclairs, retrace avec vivacité le récit des batailles dans lesquelles autrefois elle a joué le rôle d’un homme.

La pauvreté à la suite d’une vie de luttes et d’exploits ignorés, telle est trop souvent la récompense du marin et du pêcheur anglais. Je m’étais aussi arrêté, près d’Axminster, à Seaton. Durant l’été, Seaton est un petit village de pêcheurs qui, égayé par un rayon de soleil, cache son indigence sous les falaises blanches et le manteau bleu de la mer ; pendant l’hiver, c’est un lieu sinistre et lamentable. L’hiver est pour les pêcheurs la saison douloureuse ; l’hiver, l’Océan, recouvert de tempêtes, resserre pour ainsi dire ses entrailles, et refuse de nourrir les habitans des côtes. Au début même de cette année 1864, Seaton, si j’en crois les lettres qui m’arrivent, est cruellement éprouvé. Le glas retentit de moment en moment dans la tour de l’église, et cinq ou six enfans sont enterrés chaque jour. Quelques-uns d’entre eux meurent emportés par la rougeole ; mais la véritable, la plus cruelle maladie de tous est la faim. Les mères parcourent le village comme des louves et assistent insensibles aux cérémonies funèbres qui se succèdent. Une femme devant laquelle on plaignait ses six enfans, maigres, demi-nus et serrés contre un morne feu de bruyères, répondit : « Grâce à Dieu, ils ne souffrent point autant que moi, car je n’ai rien à leur donner ; je mangerais volontiers le bois de la table ! » Au milieu de tout cela, pas un murmure, pas une larme : la faim semble avoir desséché tous les cœurs et pétrifié tous les visages. Les motifs de consolation, au lieu d’adoucir de telles souffrances, n’excitent que des crises nerveuses. Quand on dit à ces pauvres femmes : « L’été va venir, et le-ciel vous enverra de meilleurs jours, » elles sanglotent et tombent dans des accès d’hystérie. En Angleterre, Dieu merci ! de pareilles calamités n’éclatent point sans que, grâce à la liberté de la presse, elles ne soient bientôt connues du pays, et alors s’ouvrent les sources presque inépuisables de la charité individuelle. Les pêcheurs de Seaton seront l’objet de sympathies et de secours efficaces ; mais qui atteindra la racine du mal ? Le mal est dans l’habitude qu’ont les populations des côtes de se reposer entièrement sur les ressources de la mer.

Le trawl est le filet du Devonshire, et il a donné son nom aux