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avec un enseignement purement français, il serait soustrait à cette épreuve. Dans un passage de sa circulaire aux recteurs, le ministre parle avec quelque dédain des mauvais lettrés. Les mauvais lettrés ! mais c’est l’élément dont le gros du public se compose, c’est cet auditoire qui ne garde des études qu’il a faites qu’un sentiment général, un goût presque involontaire. Les mauvais lettrés servent à élever, dans les pays où ils abondent, la valeur moyenne des opinions et des idées : pour peu que leurs lèvres aient touché à la coupe, il leur reste la saveur de ce qu’elle contenait. Les mauvais lettrés ! mais pour en former de bons, encore faudrait-il les essayer, et en les vouant au français, en les rivant à des programmes dont les langues mortes sont exclues, l’Université s’expose à étouffer en germe des talens qui lui feraient honneur et répandraient de l’éclat sur la communauté.

Si encore, au moyen de ces sacrifices, on obtenait cet enseignement professionnel qui est la passion et la fantaisie du temps, une compensation serait acquise ; mais là-dessus aucune illusion n’est possible : le plan proposé n’a rien de professionnel ; il n’est que l’abrégé des programmes en vigueur ; il conduit à beaucoup de professions et n’en spécifie aucune. C’est un coup de crible donné aux études pour en élaguer la partie la plus raffinée, la réduction sur une moindre échelle de ce qu’on enseigne déjà. Au bout de ces quatre années de cours, les élèves ne seraient pas plus fixés sur leur destination que s’ils avaient suivi la section des sciences et même celle des lettres. Il y a là un achoppement, et c’était inévitable. L’Université n’est pas, ne peut pas être une école d’application. Le ministre l’a senti, et il cherche à tromper ses propres scrupules. Il demande, comme on l’a vu, que l’on s’occupe de la dentelle au Puy, de la soie à Lyon, de l’hydrographie à La Rochelle ; il s’efforce de pénétrer par quelques détails dans un domaine qui lui est interdit. Ce qui n’est pas dans les leçons, il veut qu’on le trouve dans la manière de les donner, il indique en passant quelques moyens d’arriver par la pédagogie à l’initiation professionnelle. Ainsi les élèves seraient conduits dans un laboratoire de chimie pour faire des manipulations, sur le terrain pour lever des plans, à la campagne pour étudier certaines cultures, dans les usines pour voir fonctionner les appareils ; au lieu de s’en tenir aux livres pour les langues vivantes, oh les leur ferait parler. Cet enseignement en action n’est pas nouveau, et, partout où il a été essayé, il s’est arrêté à la superficie. Il peut éveiller l’attention des enfans, piquer leur curiosité, rien de plus. On le raffinerait, on le rendrait plus ingénieux qu’on n’en rencontrerait pas moins cette limite où de l’étude des sciences, si élémentaires qu’elles soient, il faut passer à