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que l’Université, prise au dépourvu, ne pourrait pas fournir ou ne formerait qu’à grands frais. Les deux enseignemens devraient donc s’accommoder de la même maison, y vivre juxtaposés sous des maîtres soit communs, soit distincts. Non-seulement le ministre se résigne à cet arrangement, mais il y voit un avantage : c’est à ses yeux un gage et un signe de plus de cette égalité que notre pays aime tant. On vient au lycée de tous les rangs de la société, et en établissant des maisons séparées pour les deux ordres d’enseignement, l’un des deux serait nécessairement considéré comme inférieur à l’autre. Dès lors les familles se feraient un point d’honneur de donner la préférence à celui qui serait le mieux placé dans l’opinion. La vanité jetterait du trouble dans le choix des carrières ; on ajouterait par l’on plus d’un chapitre à l’histoire des vocations manquées. Ce préjugé ne saurait être combattu qu’en mettant les deux enseignemens sur le même pied, en rangeant sous la même discipline, dans une communauté de goûts et de sentimens, des enfans d’origine et de destination différentes. Le lycée resterait ce qu’il est, avec une affectation de plus ; à la culture désintéressée de l’esprit il joindrait une préparation plus directe aux combats et aux nécessités de la vie. Sur un point, le rapprochement aurait tout son effet : ce serait dans cette partie de l’éducation qui comprend les devoirs moraux où l’homme et le citoyen puisent leurs règles de conduite.

Tel est le plan qu’il s’agirait de réaliser, et il prête le flanc à plusieurs objections. Ce qui frappe d’abord, c’est qu’il s’appuie sur une hypothèse. Dans ce plan, la bifurcation des études, telle qu’elle existe, est implicitement condamnée. En réalité, cette bifurcation a plusieurs années à courir, et il se peut que, par la force des habitudes et en raison des influences établies, elle ne succombe pas de sitôt. Les lycées auraient alors à mener de front trois sortes d’enseignement, l’enseignement des lettres classiques dans son intégrité, l’enseignement des lettres scindé en seconde et dérivant vers les sciences, enfin l’enseignement professionnel, c’est-à-dire l’enseignement français. N’est-ce pas beaucoup embrasser, et est-on bien assuré de pouvoir tout étreindre ? De cet amalgame d’élèves et de cours il est douteux que les proviseurs puissent faire sortir l’harmonie. L’effort s’énerve toujours quand il est dispersé, et rarement il y a lieu de s’applaudir d’un cumul de tâches. Admettons que la bifurcation actuelle disparaisse définitivement ; nous resterions en présence de deux enseignemens, — l’enseignement classique, l’enseignement français. Le terrain serait moins obstrué sans être meilleur pour cela ; l’Université ne ferait que descendre d’un degré de plus. Avec la bifurcation en troisième ou en seconde, l’élève avait du moins le temps de montrer ses dispositions pour les lettres ;