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au moment où le bouillonnement furieux des eaux brisées venait de lui arracher un cri de surprise, Austin sentit une main se poser sur son épaule, et comme il se retournait vivement, croyant ne s’adresser qu’à son hôte : — Ma fille !… lui dit tranquillement celui-ci en lui montrant suspendue à son cou une des plus ravissantes créatures que le jeune étudiant eût jamais vues, même dans ses rêves.

Je pourrais, narrateur moins scrupuleux, décrire ici minutieusement toutes les sensations qui accompagnent « un coup de foudre ; » mais Austin, si prompt qu’il fût d’ordinaire à prendre feu, — ceci lui arrivait tous les trois ou quatre mois, à tort et à travers, — ne fut nullement foudroyé, du moins sur le coup. Il dîna de fort bon appétit, causa très gaîment, et s’il veilla un peu tard à sa fenêtre, c’est que des balcons de Tyn-y-Rhaiadr, par une belle nuit d’été, le Snowdon est admirable à voir, avec ses irisations prestigieuses qui font parcourir à l’œil toute la gamme des tons orangés, pourpres et roses. Déjà cependant il s’inquiétait de sa belle hôtesse, et, cherchant à se rappeler tout ce qu’il en pouvait savoir, ne trouvait guère que ceci : elle était fille unique, et, dans quatre comtés différens, autant de grands domaines devaient revenir un jour à cette charmante héritière. Pour un jeune homme imbu des idées du monde et familiarisé avec la logique des salons, il y avait là un préservatif, un conseil de prudence, — un réfrigérant, si vous voulez, — qui eût arrêté dans leur essor des espérances trop probablement chimériques ; mais Austin, jeune et naïf comme il l’était encore, ne pouvait comprendre qu’on fît entrer en ligne de compte, dans un certain ordre de relations, la différence des rangs et des fortunes. Aussi, dès le lendemain matin, comblé de prévenances par la ravissante miss Fanny et se laissant aller au charme de la plus cordiale hospitalité, le jeune étudiant se mit-il à ébaucher dans sa pensée je ne sais quelle vague combinaison ne comportant ni plans arrêtés, ni projets définis, mais qui lui ouvrait dans un avenir féerique les perspectives les plus agréables. Bien des circonstances pourraient expliquer sa présomption. Miss Cecil, beaucoup plus jeune que lui, avait déjà passé deux saisons dans ce monde aristocratique de Londres où il n’avait pas encore mis le pied. De prime abord elle avait revendiqué le bénéfice de cette initiation précoce qui la plaçait vis-à-vis de lui comme une espèce d’oracle ; elle souriait à son inexpérience, elle lui donnait des conseils presque maternels, et, complètement rassurée par le sentiment de sa supériorité, lui laissait voir, sans la moindre réserve, le goût très naturel qu’elle avait pour lui, pour sa franchise étourdie, pour sa bonne grâce chevaleresque, pour sa gaîté d’enfant, çà et là tempérée par quelques retours de gravité virile, toujours imprévus et d’un effet très original. Ajoutons qu’elle