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plus ici-bas ; il ne prévoyait pas non plus que lui-même, trois ans plus tard, dans les cachots de la Conciergerie et sur les marches de l’échafaud, s’applaudirait de cette mort précoce, en songeant qu’elle leur épargnait à elle et à lui d’immenses regrets. George Hilton, atteint dans sa première félicité, prit en dégoût les choses humaines, et par ennui se jeta résolument au plus épais de la mêlée commerciale.

Son assiduité, sa pénétration, son audace, firent heureusement traverser à la maison fondée par son père les péripéties terribles de ces temps de révolution. Il avait pris un ascendant irrésistible sur les deux vieillards qui l’avaient jusque-là dirigée, et qui, peu à peu domptés par la volonté calme, la réserve silencieuse de ce jeune homme au front sévère, se laissaient entraîner sur ses pas et d’après ses conseils à des témérités dont la seule conception les eût fait pâlir d’effroi. L’une d’elles, il faut le reconnaître, produisit sur l’opinion un effet assez défavorable. Le jour où l’Angleterre apprit avec stupeur le résultat de la bataille d’Austerlitz, George Hilton ne put retenir un cri de joie qui lui échappa devant ses associés stupéfaits. Et il avait bien quelque droit de se réjouir, puisque deux ou trois mois plus tôt, devinant de quel côté se rangerait la victoire, il s’était avisé d’envoyer à son beau-frère, le duc de T…, devenu un des plus brillans officiers de l’empire, une somme considérable pour spéculer sur la hausse des fonds français. La défaite de la coalition rapportait donc 40,000 liv. sterl., soit 1 million de francs, à la maison Hilton et Co. Jamais encore on n’avait mieux déjoué la rigueur des clauses pénales inscrites dans l’acte de trahison de 1792. Ainsi que nous l’avons dit, cette combinaison, répugnant au patriotisme britannique, n’avait pas laissé de jeter un certain discrédit moral sur l’habile homme qui se l’était permise. Les israélites du Royal Exchange continuaient, il est vrai, à le suivre obséquieusement d’arcade en arcade, le corps penché, l’oreille tendue, cherchant à surprendre, au moment où elle sortirait de ses lèvres, une de ces indications qui valent de l’or ; mais les chrétiens ne lui témoignaient plus qu’une politesse assez dédaigneuse, et lord Hawkesbury eut grand’peine à lui pardonner cet acte de lèse-majesté nationale. George Hilton, arrivé au parlement, avait toujours trouvé, jusqu’en 1806, à échanger avec sa seigneurie un sourire amical, une plaisanterie familière. À partir de cette date, leurs rapports ne furent plus qu’un simple commerce de paroles banales, et en 1808, — lorsque l’ami de sa jeunesse fut appelé à la chambre des lords, — George Hilton se trouva parfaitement isolé parmi ses collègues des communes. Onze, ans après, parvenu à la cinquantaine et légèrement encrassé par l’or qu’il avait manié toute sa vie, il passait pour un froid calculateur,