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la consultation du suffrage universel n’était point de notre part une de ces propositions platoniques qui n’entraînent pour ceux qui les repoussent que la responsabilité du refus, nous ne tirerions point un favorable augure du rôle que nous irions jouer au meeting diplomatique de Londres. Espérons néanmoins, tout en signalant le danger, que M. de Bismark sera vaincu, s’il ose nous combattre. Les élémens d’une solution raisonnable de la question dano-allemande ne manquent point, si en effet de tous les côtés on veut être raisonnable. Au pis aller, les Danois divorceraient sans trop de regret avec le Holstein, qui est contre leur propre nationalité une menace permanente, tant qu’il demeure annexé à la monarchie et qu’il fournit un prétexte aux ingérences allemandes. Les meilleurs amis du Danemark ne semblent plus pouvoir espérer qu’il sorte sans perte de cette épreuve. Lord Wodehouse, qui a récemment rempli une mission extraordinaire à Copenhague, n’a guère dissimulé ses craintes dans une récente séance de la chambre des lords. Il s’est plaint que le Danemark n’eût point fait de concessions opportunes ; quand il cédait quelque chose, c’était toujours trop tard. « Sans doute, disait lord Wodehouse, j’admets que la conduite des puissances allemandes a été mauvaise, qu’elle a été marquée par la violence et une grande duplicité ; mais je persiste à penser que, si le Danemark avait suivi une autre conduite, il aurait obtenu une conférence avant que le Slesvig ne lui eût été enlevé. « Il faut tenir compte de ces regrets et de ces craintes, car dans les courtes observations qu’il a présentées sur cette question, lord Wodehouse n’a point démenti la réputation discrète encore d’homme d’état dont il jouit dans les cercles politiques. Lord Wodehouse a prononcé un mot qui montre qu’il est préoccupé de la dislocation des grandes alliances. « Dans la position, a-t-il dit, où se trouvent maintenant l’Angleterre, la Russie et la France, je doute beaucoup qu’il nous convienne de prendre part à des traités tels que celui de 1852. L’Angleterre ne doit plus intervenir que le moins possible dans les diverses affaires de l’Europe. » L’observation de lord Wodehouse n’est pas seulement applicable à l’Angleterre. Les grandes alliances faisant défaut, toutes les questions internationales deviennent des occasions de froissemens pénibles pour l’amour-propre des cabinets ou de périls pour les solides intérêts des peuples.

Sur le continent néanmoins, la politique d’abstention est accompagnée d’un danger dont l’Angleterre peut se croire à l’abri : il peut arriver qu’un état continental qui n’a pas su entretenir et conserver ses alliances se trouve, sur une grande question, frappé d’isolement ; sur le continent, une politique isolée ne peut ni inspirer la sécurité, ni la posséder pour elle-même d’une façon durable. Ce danger touche peu l’Angleterre. Ce pays jouit en effet de la vie politique intérieure la plus large, la plus active, la plus saine : les progrès gigantesques et ininterrompus de son industrie, de son commerce, sa prospérité financière, l’accroissement incessant de ses