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est finie de même. Rassure-toi, je ne me tuerai point ; mais remplir la part d’existence qui me reste , cela peut s’appeler se mettre en règle avec Dieu. Cela ne s’appelle plus vivre.

— Patience ! fit Horace. La vie nous trahit, nous quitte et sait bien nous reprendre...

— Je ne t’ai pas dit, interrompit Julien, que Jeanne Aubrée était morte.

Horace détourna la tête.

— Ainsi, continua Julien, qui sembla heureusement changer de sujet, prends cet argent. Tu seras donc le messager de liberté pour celle qui m’a tenu sept ans en servitude. Si elle m’accusait auprès de toi, tu me rendrais témoignage. C’est pourquoi j’ai voulu te faire ce récit. Mon cœur aurait bien pu se refermer sur cette honte et se passer déparier, ma conscience ne l’a pas voulu. J’ai pris en toi non un confident, mais un juge. Tu peux prononcer à présent. Penses-tu que j’aie mal agi ? Me suis-je trop hâté de frapper ? Est-ce que la mesure n’était pas comble ? Est-ce que je n’avais pas assez dévoré de souffrances ? Est-ce que ma longue crédulité n’avait pas enfin le droit de s’armer contre ce dernier mensonge ? Est-ce que cette bague au doigt d’une poupée ne justifie pas ce que j’ai fait ?

— Sois content, dit Horace Raison, ton juge t’absoudrait sur-le-champ, s’il savait quels sont tes desseins pour l’avenir. C’est cela encore qui me fait peur et qu’il te reste à m’apprendre.

— Ne t’ai-je pas dit, répéta Julien, que Jeanne Aubrée était morte ? Elle est là !

Et il étendit le doigt dans la direction du cimetière.

— Là ? fit Horace.

— Et ne vois-tu pas tout ce que je lui dois ? continua Julien, qui s’animait. C’est cette pensée que la fidèle créature ne m’a jamais maudit, qu’elle m’a aimé peut-être jusqu’à la fin, qui me soutient seule depuis trois jours ! C’est Jeanne Aubrée qui a fait passer en moi un souffle de raison au plus fort de ma folie. C’est elle, n’en doute pas, qui m’a sauvé des résolutions funestes. J’étais venu ici chercher un logis, poussé encore par je ne sais quelle inguérissable lâcheté : j’apprends que Jeanne est là près de moi. Quand je me suis mis à sa recherche, j’étais bien loin de penser qu’elle n’était plus de €0 monde, car elle ne devrait guère avoir que vingt-cinq ans. Partout je n’ai trouvé que sa trace. A l’ancienne maison, où l’on me fêtait autrefois si bien quand j’entrais, on m’a répondu qu’elle avait changé de demeure. A sa demeure nouvelle, on m’a dit qu’elle était morte depuis six mois et ensevelie dans ce cimetière. Je veux donc...

— Ecoute, dit Plorace d’une voix altérée, prends garde à ce cimetière. ..