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vée, s’il vous plaît de me la rendre, c’est ma parenté reconquise. Ce que je veux, c’est de me voir rouvrir votre maison , c’est de redevenir vôtre, et, je dois tout vous dire, c’est d’être mariée de votre main, de la main que voilà, où tient ma destinée entière...

— Yraiment, interrompit la baronne, toutes ces choses que vous me dites ont leur prix, et pour une personne qui en a fait fi si longtemps, vous les estimez à présent !

— Oui, madame, fît Lucy, je les estime plus haut encore que vous ne le pensez.

— Trop haut ! riposta la baronne. Quant à ce qui me regarde, je vous avoue en toute humilité que je ne conçois pas encore bien le besoin que vous avez de moi dans cette affaire. Ma réputation est sans tache assurément, ce qui lui donne quelque puissance ; mais cela va-t-il bien jusqu’à la puissance de restaurer par ma seule intervention la réputation des autres ?

— Certes, madame, dit Lucy, si vous le voulez.

— C’est justement ce dont je suis bien disposée à douter. Vous feriez mieux de compter sur le temps et la force des choses pour vous rétablir dans l’état qui était le vôtre autrefois, et que vous semblez regarder aujourd’hui comme le paradis perdu, ma pauvre enfant. Votre mariage, si vous vous mariez, vous fera faire un grand pas. Fiez-vous au temps, je vous le répète, pour mener l’œuvre à bien, et soyez sûre que Dieu l’achèvera. Il bénit les unions pures.

— Madame, s’écria Lucy, n’est-ce pas assez de vous attaquer à moi, qui ne me défends point ? Celui qui m’aime et veut m’épouser est sans tache, lui aussi. Vous l’avez vu. Jugez vous-même si son visage est celui d’un homme vulgaire ou méchant. Oui, cette union sera pure au moins d’un côté, puisqu’à vous entendre elle ne saurait l’être du mien. Oui, vous avez raison, si Dieu permet qu’elle s’accomplisse, il pourra bien la bénir. Et s’il la bénit, et que vous, madame, vous ayez refusé de le faire, vous aurez donc été plus sévère que le ciel !

— Voilà, dit la baronne, un raisonnement spécieux auquel je ne m’attendais point.

— Pardonnez-le-moi, interrompit Lucy, car je ne sais plus guère ce que je dis. A quoi vous sert de me désespérer, madame ? Ce mariage est impossible, si ce n’est vous qui le faites. L’homme qui m’aime est généreux sans réserve ; il croirait s’abaisser en me demandant compte d’une heure de mon passé. Quoi qu’il advienne, il va m’épouser sans une question, sans un étonnement, sans un doute. Oh ! cela est beau d’être aimée ainsi ; mais le jour venu, madame, le grand jour oîi chacun se voit entouré à l’envi de ses amis et de ses proches, si nous devons marcher à l’autel seuls tous les deux, M. Dégligny sera-t-il maître de ses pensées ?