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Son regard noyé se mit à errer sur les meubles noirs, sur les tentures de plomb qui garnissaient la chambre, vieux ennemis qu’il retrouvait ; il s’arrêta sur un des tableaux suspendus à la muraille, et qui de toutes les saintes de cette pieuse galerie représentait la plus rigide, la plus inanimée. — Voilà, se dit-elle, ce qu’on eût voulu faire de moi ! — Et un frisson la saisit, tandis qu’elle considérait cette froide image, à l’idée qu’elle lui ressemblait si peu, qu’elle était belle, qu elle était jeune, qu’elle était vivante, et que tout cela ne lui servirait de rien pour être libre, heureuse, aimée, si sa dévote cousine ne le voulait pas.

— Ma chère enfant, reprit la baronne d’Espérilles, il est pourtant bien vrai que, malgré l’aversion que vous m’avez toujours témoignée, malgré la légèreté de votre cœur et malgré... tant d’autres choses que je vous épargne, je ne puis m’empêcher de vous aimer encore un peu. Je vais vous le prouver.

— Vous m’aimez, madame ! s’écria Lucy au comble de l’épouvante.

— N’achevez pas, dit la baronne en levant les épaules. Je lis dans votre pensée. Vous ne me croyez pas. Je sais bien que l’ingratitude a toujours été le premier mouvement chez vous.

— Ah ! reprit Lucy, consentez à ce que je vous demande, et vous verrez si je suis ingrate.

— J’ai donc gardé beaucoup d’affection pour vous, et je ne conçois guère que vous en doutiez. Vous auriez dû juger plutôt de ce qu’il m’en reste par la patience que j’ai mise à vous écouter depuis une heure. Quelle confession venez-vous de me faire ? Est-ce que je vous comprends bien ? Un ancien ami que vous n’attendiez plus est de retour ; vous accourez pour me l’apprendre. Pourquoi voulez-vous me mettre en souci de ces choses, qui ne me regardent point ? Mais ce n’est pas tout, vous l’aimez, cet ancien ami, vous l’avez toujours aimé. Ainsi donc vous l’aimiez plus que jamais quand vous aimiez le... je veux dire quand vous permettiez au comte de vous aimer... Ah ! voilà bien du mélange ! Croyez-moi, n’allez pas risquer de rompre une amitié aussi puissante, aussi belle, aussi parfaite que celle du comte Lallia, d’autant que cette amitié pourrait bien être une chaîne , une chaîne d’or non moins bien forgée que si elle était de fer. Que me parlez-vous de vous marier ! Mais, ma chère enfant, vous perdez l’esprit. Ne se marie pas qui veut. Est-ce que vous pensez que le comte Lallia souffrira qu’on l’abandonne ?

— Madame, ce mot est de trop. Abandonner le comte ! mais je ne l’abandonne point. Que peut donc avoir d’inconciliable avec mon mariage le genre d’amitié que nous avons ensemble ?

— Vous conciliez tout, dit la sainte femme d’une voix dure ; mais