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plus à craindre que le mâle, la saison des amours décuple la puissance de ses poisons[1]

Quant aux gros boas, ils disparaissent avec les grandes forêts, et il faut s’enfoncer dans les contrées de l’intérieur pour trouver de grands serpens. Leur peau, d’une ténacité extraordinaire, sert à recouvrir des malles en guise de peau de bœuf. Les habitans des pays voisins des forêts et des fleuves prétendent rencontrer quelquefois de ces animaux d’une longueur démesurée. Les naturalistes de leur côté, ne possédant que des individus de quelques mètres de long, ont fixé à quarante ou quarante cinq pieds le maximum des plus grandes espèces, et je crois devoir cette fois me ranger du côté des Indiens. Les autorités ici ne manquent pas. En Afrique, on trouve d’abord deux serpens en quelque sorte historiques, l’un de soixante-quinze pieds de long, l’autre de cent vingt. Le premier, dont parle Suétone, parut dans le cirque sous le règne d’Auguste ; l’autre, connu de tout le monde, est ce monstrueux reptile que les soldats de Régulus attaquèrent comme une forteresse vivante sur les bords du fleuve Bagrada, dans le territoire de Carthage. Sa peau, envoyée à Rome et déposée au Capitole, y resta jusqu’à l’incendie qui détruisit cet édifice lors de la guerre de Numance. L’Inde nous offre aussi deux serpens gigantesques cités dans l’Oriental Animal : l’un, de soixante-trois pieds de long, fut tué par quatre matelots anglais à l’embouchure de l’Hougly, à trente-trois lieues de Calcutta ; l’autre fut trouvé mort dans une chasse par le rajah de Patna. Sa carcasse mesurait quatre-vingt-quinze pieds, et une vertèbre de l’épine dorsale qu’emporta le rajah présentait plus de quatorze pouces de diamètre. Dans l’Amérique du Sud, on a pu noter deux faits qui sont plus rapprochés de nous et semblent encore plus concluans. M. de Castelnau, lors de l’exploration qu’il fit, il y a quelques années, sous les auspices du gouvernement français, dans le bassin de l’Amazone, rencontra un missionnaire qui avait un jour poursuivi, à la tête d’une centaine d’Indiens, un serpent de quatre-vingt-dix pieds de long ; mais l’animal avait réussi à s’échapper. Il est probable qu’on trouverait encore d’autres récits analogues en compulsant les relations de voyages ; mais ceux que nous venons de citer nous semblent suffisans. La constitution anatomique du serpent se prête merveilleusement à ces dimensions démesurées. La charpente de ce reptile n’est pour ainsi dire qu’une suite indéfinie de

  1. J’ai cru remarquer que les espèces venimeuses peuvent s’accoupler avec les espèces inoffensives. Le métis prend la robe du mâle, mais n’a pas de venin. Maintes fois j’ai disséqué des serpens dont les nuances et le dessin me rappelaient certaines familles redoutables, et qui ne portaient aucun crochet. Il faut cependant ajouter que les couleurs étaient un peu affaiblies.