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marche saxonne la vie rurale est restée engagée dans le communisme primitif, autant ici elle porte l’empreinte de l’individualisme.

Quand on se dirige de Zwolle vers la Frise, on rencontre, après avoir franchi le Vecht et le Dedemsvaart, une interminable file de fermes qui occupe un espace de plus de deux lieues. Ce sont Rouveen et Staphorst. Ces fermes ne se touchent pas ; elles sont assises chacune au milieu d’une étroite bande de terrain qui se prolonge derrière elles à perte de vue. Des fossés tout remplis de plantes aquatiques les entourent, et de plantureux bouquets d’aunes, de peupliers et de saules les couvrent d’un épais ombrage. Avec leurs vieilles façades en bois tout bruni par le temps, leurs étroites fenêtres à petits carreaux enchâssés dans du plomb, avec leur vigne qui suspend au toit de chaume ses gracieuses guirlandes, ces demeures rustiques ressemblent exactement à celles où van Ostade place ses joyeuses commères et ses intrépides buveurs ; mais les gens qui habitent ici n’ont rien des modèles du peintre des joies bachiques : ce sont des gens de mœurs austères, des calvinistes stricts et pieux, solidement attachés à toutes les traditions anciennes, en fait de foi comme en fait de culture, du reste les plus rudes travailleurs du royaume, et ajoutant à l’exploitation de leurs terres plusieurs petites industries qui leur procurent une aisance réelle. Ils tressent des paniers ; avec le bois des sureaux qui forment leurs haies, ils font des pointes employées par les cordonniers ; ils tricotent eux-mêmes leurs bas, et ils ont une telle horreur de l’oisiveté que quand les administrateurs du village se réunissent au conseil, ils ont soin d’apporter leur tricot avec eux. Toujours levés avant l’aube, ils exécutent bravement l’immense labeur qu’exige l’exploitation de leur champ, qui a ordinairement plus d’une lieue de longueur. Leur costume ancien et bizarre, celui des femmes surtout, les fait aussitôt reconnaître aux marchés de Zwolle ou de Meppel. Jusqu’à présent ils ont bravement résisté à toutes les innovations, même à celles des cheminées, parce qu’ils prétendent, comme les fermiers de la Drenthe, que la fumée sèche le grain, donne au sarrasin un goût plus fin, et conserve admirablement le lard et le jambon. Il y a quelques années, le seul bâtiment moderne était l’école, qui était bien construite, admirablement tenue et très suivie, et il n’y avait point de cabarets. En somme, malgré leurs idées un peu arriérées, leur costume suranné, dont on se moque à tort, ces purs descendans des anciens Frisons, qui ne se marient jamais hors de leur village, ont des mœurs sévères, quelque instruction, un certain avoir, peu de besoins, et un grand goût pour le travail, qui leur permet de les satisfaire largement. Ne serait-il pas à désirer que toutes les populations rurales ne fussent point plus mal pourvues ?

Presque tous ces cultivateurs sont propriétaires de leurs fermes,