Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MUNICH
L'ART PAR LA CRITIQUE

L’histoire a tout envahi, et peut-être, s’il fallait définir le plus grand changement qui se soit opéré dans notre manière de considérer les choses, depuis la législation jusqu’à la philosophie, depuis les mœurs jusqu’aux arts, devrait-on dire qu’il consiste dans notre disposition à rechercher moins ce que les choses sont ou doivent être par elles-mêmes que ce qu’elles ont été et ce qu’elles sont devenues. On s’attache aux effets du temps plus qu’à ce qui est de tous les temps. Malebranche disait qu’il n’enviait que la science du premier homme. On la dédaignerait aujourd’hui : elle n’avait point de passé.

Ce qu’on appelait autrefois l’esprit classique était précisément l’inverse de l’esprit historique. Quoiqu’il remontât les siècles pour retrouver en tout les modèles et les règles, il ne tenait nul compte de l’influence des siècles, et méprisait les révolutions des idées et du goût. Il n’estimait, il n’admettait que ce qui avait été pensé, fait, produit à un certain moment. Peu importait que la succession des âges eût amené, puis emporté, par une action presque également nécessaire, ce qu’on proposait à notre exclusive admiration : il fallait toujours rester au même point; on avait eu tort tant qu’on n’y était pas arrivé, tort dès qu’on s’en était écarté. Dans l’enseignement universitaire, on nous fixait jadis un degré précis en-deçà ou au-delà duquel il ne se rencontrait plus qu’erreur et péril; c’était comme une orthodoxie, on y devait toujours revenir ou ne s’en départir jamais; en d’autres termes, il fallait se soustraire à l’influence