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perd pour cela ni sa justesse, ni sa grandeur ; l’enchaînement des groupes et l’importance relative qui leur est attribuée n’en attestent pas moins chez le peintre une habileté considérable. Peut-être oublie-t-on un peu trop de nos jours les qualités qui distinguent en ce sens l’œuvre de Mignard, pour se souvenir surtout de ce qu’elle a de laborieusement pompeux dans les formes ; peut-être aussi lui faisons-nous, sans y songer, porter la peine des louanges excessives dont on l’avait saluée à son apparition. Tout le monde connaît les vers que Molière a consacrés à la gloire du Val-de-Grâce et les hyperboles au moins imprudentes par lesquelles le poète, associant le nom de son ami aux noms de Raphaël et de Michel-Ange, « ces Mignards de leur âge, » transformait un travail au-dessus du médiocre à coup sûr, mais certainement aussi au-dessous de l’excellent, en

… Fameuse merveille
Qui des bouts de la terre en ces superbes lieux
Attirera les pas des. sa vans curieux.

Les gens que les peintures du Val-de-Grâce attirent aujourd’hui n’arrivent sans doute pas de si loin. Peu d’entre eux, en tout cas, s’en retourneraient sans déconvenue, s’ils avaient pris un peu trop à la lettre ce qu’a dit Molière ; ils pourraient même être d’autant plus sévères pour Mignard qu’ils auraient eu d’abord plus de confiance dans les paroles de son panégyriste. Telle était du moins l’opinion d’un homme dont on ne contestera pas la haute compétence, opinion qu’il traduisait en quelques lignes où il jugeait à la fois le travail de Mignard et le commentaire poétique que ce travail avait inspiré. « Si Molière, écrivait en 1826 le peintre de Marcus Sextus et de Clytemnestre, Pierre Guérin, si Molière se fût contenté de présenter cette production comme un bel ouvrage et de la louer comme tel, tout le monde en tomberait d’accord ; mais personne aujourd’hui ne voudra la regarder comme une merveille, et je doute fort que, même de son temps, en ayant sous les yeux les ouvrages de Poussin, de Lesueur, de Lebrun, le public connaisseur approuvât sans restrictions des éloges auxquels l’amitié de notre illustre auteur ne sut point mettre de bornes. » Et Guérin, revenant sur ces exagérations du poète, ajoutait un peu plus loin : « La composition de Mignard est grande et imposante ; mais on peut y reprendre la faiblesse du dessin, le défaut d’énergie dans les figures qui en demandent, et souvent de la manière dans les formes, de l’affectation dans les poses. Le style est plus répréhensible encore, et c’est la partie la plus faible. Je dois dire cependant que ces critiques ne sont aussi sévères qu’à raison de l’extension des éloges de Molière, qu’il faut réduire à leur juste valeur. »