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contemporaine tout entière transformée en un prologue de l’expédition du Mexique et de la monarchie d’un archiduc.

Allons au fond des choses. La monarchie, une monarchie intelligente et libérale peut certes être un bienfait pour le Mexique, et elle n’aurait point de peine en tous les cas à valoir mieux que tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis un demi-siècle. Le prince que les notables de Mexico ont choisi, sans prêter peut-être aux idéalisations poétiques dont il a été l’objet, est assurément fait pour exercer utilement la souveraineté, et je dirai comme on disait au commencement de l’intervention : Si les Mexicains se prononcent spontanément pour la monarchie et pour l’archiduc Maximilien, rien n’est mieux. Seulement il s’agit de savoir ce qu’est cette restauration monarchique, quelles difficultés elle rencontre, et dans quelle proportion nous pouvons y engager notre politique et nos finances.

L’erreur est de croire que la paix du Mexique tient à un établissement monarchique. Une forme plus stable de gouvernement peut créer une condition meilleure sans doute, elle ne déracine pas le mal qui est au plus profond de la situation du Mexique, et dans ce mal même elle trouve son plus sérieux obstacle. Qu’on se représente en effet ce qu’est ce pays quatre ou cinq fois grand comme la France et parsemé d’une population incohérente qui se compose de cinq millions d’Indiens qu’aucune civilisation n’a éclairés encore, et de deux millions d’Européens ou demi-Européens dont les mœurs publiques ont subi l’atteinte corruptrice de toutes les révolutions. Cette prépondérance de la population indienne sur l’élément cultivé est peut-être le fait le plus caractéristique de la société mexicaine, et ce qu’il y a de plus curieux aujourd’hui, c’est que les deux hommes le plus en vue, le général Almonte et M. Juarez, sont de sang indien. Quant à la masse, elle est restée absolument inculte et sauvage. Dans certaines provinces, comme celles de Chihuahua et de Durango, les indigènes sont d’une barbarie féroce, se jettent sur les fermes, menacent même parfois les villes. Le Yucatan est presque tout entier peuplé d’Indiens. La condition de cette classe est une véritable servitude réglée encore par un régime spécial. L’Indien appartient en somme au grand propriétaire, à l’hacendero, sur la terre duquel il vit. Une fois devenu son débiteur, et il l’est toujours, il ne peut plus le quitter. Le gouvernement lui-même n’a jamais su le chiffre exact de cette population. Il y a au fond des forêts des villages qui n’ont jamais été visités, il en est d’autres dont une partie des habitans se dérobe dans des retraites inaccessibles pour échapper à la capitation. Dans la ville de Mexico, peuplée d’environ deux cent mille âmes, la population européenne ne compte pas pour plus d’un vingtième ; le reste se