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méritée a été donnée, la qualification de suspect ou d’ennemi, trop communément passée dans le langage officiel, n’en a pas moins tenu lieu de celle de candidat indépendant, qui a été interdite.

Les candidats ainsi mis au ban de l’empire n’ont pu trouver grâce devant les maires, et ce sont ces paisibles fonctionnaires qui ont été chargés ou se sont chargés eux-mêmes de porter les derniers coups. Leur participation à la lutte a donné au langage tenu par les préfets l’interprétation la plus propre à émouvoir les passions populaires. Les maires peuvent, il est vrai, se croire indépendans malgré la menace de suspension ou de révocation toujours suspendue sur leur tête. « Non, a déclaré M. le président du conseil d’état, les maires ne sont pas destitués quand ils votent selon leur conscience contre un candidat du gouvernement; non, ils ne sont pas destitués quand ils ne font pas voter pour le candidat du gouvernement. » Il y a sans doute certains exemples dont nous aurions mauvaise grâce à ne pas tenir compte, et qui justifient les engagemens de M. Baroche; mais hélas! à côté des maires qui ont exercé, fût-ce avec hardiesse, leurs droits de citoyens et qui ont été conservés pour ne pas dire épargnés, quelle hécatombe de maires immolés dans certains départemens sans que les ménagemens les plus vulgaires aient été observés, à tel point que, dans la Lozère et dans la Corrèze, ce sont des gendarmes qui, la nuit, sont allés notifier ces mesures de rigueur aux victimes qu’elles atteignaient! D’ailleurs, à supposer même que la crainte ne soit pas une bonne conseillère, en mettant à l’écart tout intérêt d’ambition personnelle, comment, dans la plupart des départemens, les maires, habitués à ne pas mesurer leur confiance aux préfets qui les ont nommés, peuvent-ils recevoir sans se troubler les communications multipliées qui leur recommandent de se tenir sur leurs gardes et d’être en éveil? Quand ce sont les premiers magistrats du département qui leur dénoncent.la coalition des partis hostiles prêts à tout tenter contre la sécurité du pays, et qui leur représentent l’empire en danger, ils se croiraient volontiers menacés de revoir le temps néfaste de la terreur ou de l’invasion, et il ne faut pas dès lors s’étonner de l’abus si fréquent de leurs proclamations, dont quelques-unes, même les plus plaisantes, peuvent être de bonne foi[1]. Ce n’est pas tout. Il y a des changemens de mise en scène artistement

  1. L’intéressant ouvrage de M. Ferry, la Lutte électorale en 1863, donne à ce sujet les plus curieux détails. Dans un village de l’Aude, au sommet de l’escalier qui conduit à la salle du vote, le buste de l’empereur est mis en vue, entouré de l’écharpe du maire, dans les plis de laquelle les bulletins du candidat du gouvernement sont en dépôt: il y a une inscription en lettres majuscules au pied du buste; elle est ainsi conçue : « venez me défendre à l’arme blanche, » et pour éviter un malentendu, l’instituteur a ajouté plus bas : « c’est-à-dire avec des bulletins. »