Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est certainement très considérable. Quelle est maintenant l’origine de ce duché, et comment se trouve-t-il entre les mains du prince de Galles ? D’après la vieille loi anglaise, toutes les mines appartiennent à la couronne, et cela parce qu’elles fournissent les matériaux nécessaires pour frapper la monnaie, privilège qui n’est dévolu qu’au souverain. De là vient que les landes de Dartmoor et de la Cornouaille, si riches en métaux, étaient considérées depuis des siècles comme propriétés royales, lorsqu’en 1333 Édouard III en fit cadeau à son fils aîné, le prince Noir, et à ses héritiers, les fils aînés des rois et des reines d’Angleterre à perpétuité. Ainsi fut constitué par une charte le duché de Cornouaille, qui ne se composait pas seulement de terrains plus ou moins métallifères, mais aussi de châteaux, de parcs, de manoirs, de bourgs, de villes et d’une forêt toute peuplée de daims. Parmi les domaines qui s’y rattachent aujourd’hui, je signalerai seulement une promenade charmante qui conduit de Lostwithiel aux ruines du château de Restormel, Restormel-Castle. Cet édifice servait autrefois de résidence aux comtes de Cornouaille. Il n’en reste plus aujourd’hui que les murs circulaires, ayant neuf pieds anglais d’épaisseur et posés comme une couronne sur le front d’une colline herbue. Ces ruines, recouvertes par des masses de lierre qui les pénètrent, forment bien ce que les Anglais appellent une scène romantique. On y vient des environs faire des pique-niques et des parties de plaisir. J’avais vu le lierre, dans plusieurs endroits de la Grande-Bretagne, cultivé le long des murs des jardins, ou croissant de lui-même parmi les ruines avec cet avantage que lui donne un climat humide ; mais je ne l’avais jamais vu si vigoureux qu’à Restormel-Castle. Il montre une sorte d’amitié touchante pour les restes de cet ancien château qu’il entoure de ses bras puissans, et dont il soutient à moitié dans le vide les pans de muraille détachés. Le lierre est une des plantes favorites de l’Anglais. Il y voit un symbole de ces affections fortes et tenaces, mais surtout de ces pieux sentimens de famille qui relient comme des pierres disjointes les souvenirs du passé.

Au moment où je visitai la Cornouaille, — du milieu d’août au milieu de septembre, — la moisson se montrait à tous ses divers états de développement[1]. On voyait, chemin faisant, les blés murs encore sur pied, les blés couchés à terre par le tranchant de la faux, les blés liés en gerbes et rangés à des distances égales. Il existe ici une coutume qui ne se rencontre point du tout dans les autres comtés. Après que le champ a été fauché, on réserve une

  1. Cette époque reculée de la moisson indique assez qu’à un printemps très précoce succède en Cornouaille un été tardif.