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Dost-Mohammed, le « roi de Caboul, » afin d’installer à sa place un prince, jadis déchu, qu’ils regardaient comme leur créature à jamais dévouée. Cette restauration ridicule et vaine fut accomplie au prix des plus grands dangers et des plus grands sacrifices. Le 7 août 1839, Dost-Mohammed cédait son sceptre au protégé des Anglais et se retirait à Calcutta, sous la protection même de ceux qui venaient de le détrôner; puis, après trois années d’éphémère domination, l’armée anglaise, très imprudemment réduite et placée sous les ordres d’un vieux général inhabile, se vit tout à coup en face d’une insurrection presque générale, qui éclata sur la nouvelle du remplacement de lord Auckland par lord Ellenborough (novembre 1841, janvier 1842). Les principaux représentans de la politique anglaise, Burnes et M’Naghten, furent immolés, comme le lieutenant Wyburd gavait été à Khiva, comme l’avaient été à Bokhara le colonel Stoddart et le capitaine Conolly; puis, dans une journée de néfaste mémoire, l’Angleterre apprit avec stupeur que, de toute l’armée laissée par elle dans l’Afghanistan, quelques hommes à peine avaient pu rentrer sur le territoire anglo-indien. Invités à quitter Caboul au cœur même de l’hiver, le 6 janvier 1842, quatre mille cinq cents soldats de la compagnie, suivis de douze mille indigènes, serviteurs indispensables de toute armée en campagne, plus un nombre considérable de femmes et d’enfans qu’avait attirés l’ombre protectrice du drapeau britannique, se virent décimés, dès le premier jour de marche, par la faim, le froid, les attaques de l’ennemi. Ce fut, sur une moindre échelle, une retraite de Russie. Le sang ruisselait sur la neige étincelante des montagnes, les cadavres, durcis par la gelée, bordaient les sentiers ardus, encombraient les défilés étroits. De ses bras énervés par le manque de nourriture, engourdis par la bise glaciale, plus d’une mère se vit arracher l’enfant qu’elle emportait dans sa fuite, et mourut, le laissant esclave aux mains d’un soldat féroce. Tel fut le sort de l’un des deux écrivains dont nous invoquerons aujourd’hui le témoignage sur ce peuple étrange, qui se révélait ainsi à l’Europe étonnée par une victoire complète remportée au détriment de la toute-puissante Angleterre.

L’honneur militaire de celle-ci était en jeu. Il fallut, et sans retard, laver l’injure faite au drapeau. Deux généraux, Pollock et Nott, l’un en franchissant la passe de Kyber, réputée inexpugnable, l’autre en allant dégager le général Sale, enfermé dans Jellalabad, qu’il avait héroïquement défendue, rendirent une partie de son prestige à l’ascendant des armes britanniques. On vit de nouveau sur les murs de la citadelle, à Caboul, flotter l’Union-Jack, l’étendard national. Pour venger le général Elphinstone, mort en captivité