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de mourir de faim sans accroître le travail. On pourrait multiplier les citations : les documens officiels sont nombreux et s’accordent à démontrer que, depuis longtemps, une partie considérable de la population agricole reste inoccupée, même à l’époque de la moisson du blé et de l’avoine. En 1846, les inspecteurs de la loi des pauvres rapportent que dans l’union de Milford, comté de Donegal, sur une population rurale de 38,108 personnes, il n’y avait que 779 hommes et 287 femmes occupés durant la semaine finissant le 11 septembre, c’est-à-dire en pleine moisson irlandaise. Le nombre des personnes pouvant compter sur un emploi constant était de 341 hommes et de 152 femmes. Dans un des districts de cette union, il n’y avait que 4 hommes employés sur 2,006 habitans. La situation était à peu près la même dans la plupart des comtés de l’ouest pour la portion de la population vivant sur le système des conacres, c’est-à-dire sur la culture d’une parcelle de champ plantée en pommes de terre, et dont le loyer est payé quelquefois en argent, plus souvent en journées. Cette situation s’est depuis améliorée, et elle est aujourd’hui, toute compensation faite des différences, moins douloureuse qu’avant la famine de 1846, car c’est une partie spéciale de la population, disséminée à peu près partout, plutôt que la population irlandaise en général qui est atteinte. Les grandes et moyennes fermes prospèrent dans toutes les régions, les petites dans l’Ulster, et le salaire des ouvriers d’état est égal en Irlande à ce qu’il est en Angleterre. Il n’en est pas moins vrai qu’une portion de la population rurale d’Irlande est constamment dans une situation analogue à celle où la disette du coton a jeté les populations industrielles du Lancashire; elle a les chômages et le travail à journées, à heures et à salaires réduits. Pendant les cinq mois d’hiver, la population agricole ne travaille pas, pendant l’été, elle ne travaille pas tous les jours. La journée de travail commence à sept heures du matin et dure dix heures. Ce temps si court est mollement employé et faiblement rétribué. L’ouvrier travaille comme on le paie, le maître paie comme on travaille, en sorte qu’avec des salaires insuffisans le prix de la main-d’œuvre est en réalité aussi cher en Irlande que dans les pays prospères, ce qui fait obstacle à l’accroissement du travail comme au développement des améliorations agricoles. Il est douloureux de le penser et pénible de le dire, mais, en considérant la production du travail, on retrouve ce qui avait frappé en examinant la production du sol. Si une partie de la population rurale d’Irlande produit quatre fois moins de travail que les populations agricoles d’Angleterre ou de France, il est presque impossible qu’elle ne soit pas quatre fois plus mal logée, quatre fois plus mal vêtue et quatre fois plus grossièrement nourrie.