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bien que son protecteur Valerius Flaccus, qui fut son collègue dans la censure et dans le consulat, Caton a toutes les anciennes vertus et tous les anciens préjugés. Sobre, économe, homme des champs et homme de guerre, son corps, endurci par le travail, était couvert de blessures. Dur et cruel pour ses esclaves, dur à lui-même, toujours prêt à accuser et à punir, il se défie constamment de ce qui est nouveau, du génie militaire de Scipion comme des doctrines de Carnéade. Tout ce qui vient de la Grèce lui est odieux ou suspect, jusqu’aux médecins, qu’il recommande à son fils d’éviter avec soin. Pourtant tel était l’ascendant du génie hellénique, auquel de son temps nul ne pouvait échapper, que Caton lui-même reçut très jeune des leçons du pythagoricien Néarque, et finit par apprendre le grec. On dit même qu’il le savait déjà quand il harangua les Athéniens en latin, selon l’usage des généraux romains. C’est ainsi que Méhémet-Ali, bien qu’il sût l’arabe, employait toujours le turc avec ses sujets arabes.

Consul, il appliqua ses maximes dans toute leur sévérité, et fit la guerre au luxe des femmes. Pendant la guerre contre Carthage, le tribun Oppius avait fait passer une de ces lois somptuaires qui étaient dans le génie de la politique des anciens, et que la science économique des modernes a sagement proscrites. Aux termes de la loi Oppia, les femmes ne pouvaient posséder qu’une demi-once d’or. Il leur était interdit d’aller en voiture par la ville et à un mille de Rome. Enfin, et c’est ce qui probablement leur tenait le plus au cœur, il ne leur était pas permis de porter des vêtemens de diverses couleurs. Si les Romaines d’alors avaient le même goût que les Romaines d’aujourd’hui pour les couleurs voyantes, la loi Oppia dut singulièrement les contrarier. Qui défendrait aujourd’hui aux femmes de Rome de porter des corsets rouges et des tabliers violets soulèverait parmi elles une émeute, et c’est ce qui arriva quand, Caton étant consul, des tribuns proposèrent l’abolition de la loi Oppia. Caton et deux Brutus tribuns, de race sabine comme lui, s’opposèrent à l’abrogation. Les dames romaines se mirent en campagne: elles assiégeaient toutes les avenues du Forum, elles suppliaient les citoyens qui s’y rendaient des différens quartiers de la ville[1], elles faisaient des meetings (conciliabula), elles allaient solliciter les magistrats. Cela donnait à Rome un aspect qu’elle n’avait jamais eu, et qui était un signe des temps nouveaux. Les femmes avaient un parti qui appuyait leur réclamation; mais Caton fut inflexible.

Tite-Live lui fait prononcer dans le Forum un long discours qui

  1. Tite-Live, XXXIV, 1. Descendentes ad Forum. Le Champ de Mars n’étant pas habité, la plus grande partie de la ville était sur les collines.