Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tement du sénat, leurs majestés sont convenues que l’un ou l’autre de ces deux cas, savoir celui d’une agression de la part de la Suède, et celui du renversement total de la présente forme du gouvernement, seront regardés comme le casus fœderis. Et sa majesté le roi de Prusse s’engage, dans les deux cas susmentionnés, et lorsqu’elle en sera requise par sa majesté l’impératrice, à faire une diversion dans la Poméranie suédoise, en faisant entrer un corps de troupes considérable dans ce duché. »


Quoique cet article fût destiné à rester secret, il est difficile de ne pas s’étonner, en le lisant, de l’audace avec laquelle y est formulée la volonté de maintenir en tutelle un monarque dont on déclare qu’on ne laissera pas rétablir la souveraineté. Comment qualifier les prétentions de puissances qui abusent de leurs forces au point d’assimiler les changemens constitutionnels qui s’accompliraient dans le sein d’un état indépendant à une invasion de leur territoire? Tels étaient cependant les principes de droit politique de Frédéric et de Catherine à l’égard des faibles, et ce n’était pas assez de mettre ces principes en pratique, on n’hésitait pas à les ériger en doctrine.

Dans le recueil que nous venons de citer[1] se trouvent de curieuses lettres du roi de Prusse et de son frère. Le premier écrit à Gustave III le 1er septembre 1772 :


« Monsieur mon frère, je vois par la lettre de votre majesté le succès qu’elle a eu dans le changement de la forme du gouvernement suédois; mais croit-elle que cet événement se borne à la réussite d’une révolution dans l’intérieur de son royaume? Que votre majesté se souvienne de ce que j’ai eu la satisfaction de lui dire lorsqu’à Berlin j’ai joui de sa présence; je crains bien que les suites de cette affaire n’entraînent votre majesté dans une situation pire que celle qu’elle vient de quitter, et que ce ne soit l’époque du plus grand malheur qui peut arriver à la Suède.

« Vous savez, sire, que j’ai des engagemens avec la Russie; je les ai contractés longtemps avant l’entreprise que vous venez de faire; l’honneur et la bonne foi m’empêchent également de les rompre, et j’avoue à votre majesté que je suis au désespoir de voir que c’est elle qui m’oblige à prendre parti contre elle, moi qui l’aime et lui souhaite tous les avantages compatibles avec mes engagemens; elle me met le poignard au cœur en me jetant dans un embarras cruel, duquel je ne vois aucune issue pour sortir »

Quant au prince de Prusse, il s’exprime plus nettement encore, s’il est possible, dans une lettre à sa sœur, la reine douairière de Suède, du mois de décembre 1772 :

  1. Ce recueil a déjà été consulté avec grand profit par l’auteur d’une intéressante série d’études sur le Nord scandinave dans la question d’Orient, M. A. Geffroy. Cette série a été publiée dans la Revue; voyez notamment les livraisons du 15 février et du 1er juillet 1855.