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que la résultante exacte du cours des farines, la tendance instinctive du farinier est d’agir sur le marché régulateur; c’est lui, et non plus la police, qui dicte la taxe.

L’innovation de 1823 coïncidait avec un progrès industriel dans la meunerie, qui en était à peu près restée, sous la révolution et l’empire, au point où l’avaient poussée sous Louis XVI Malisset et Malouin. La mouture dite économique s’était généralisée : elle donnait une farine ronde où le gluten n’était pas énervé, et qui devait fournir d’excellent pain; mais elle travaillait lentement, exigeait des repassages nombreux du blé sous la meule, n’avait pas encore de bluteries satisfaisantes, dépensait une grande force motrice, et en définitive maintenait le prix de la mouture à un niveau élevé comparativement à ce qui s’est vu depuis. En 1816, la disette ayant mis à l’ordre du jour toutes les questions relatives aux subsistances, Louis XVIII se souvint qu’il avait vu pendant son exil des moulins préférables à ceux que nous possédions : c’étaient des machines savantes et compliquées, imaginées en Amérique et perfectionnées en Angleterre. Adaptées à de puissans moteurs hydrauliques ou à la vapeur, faisant jouer plusieurs meules à la fois avec une vitesse de 120 tours à la minute, elles tiraient du blé en deux opérations autant de produits panifiables que la mouture française avec cinq. Ce système donnait une farine très fine et très blanche, un peu altérée peut-être par réchauffement et la pulvérisation poussée à l’excès : il offrait d’ailleurs à la spéculation l’avantage d’être expéditif et d’abaisser les prix de revient. Le roi convoqua les principaux meuniers du temps pour leur faire part de sa découverte. Il se flattait de les émerveiller : il les trouva froids et inertes. Il ne savait pas que les chefs d’une industrie sont ceux qui résistent le plus aux innovations, parce que le progrès, exigeant le renouvellement du matériel, se présente à eux sous l’aspect d’une grosse dépense. Pour n’en avoir pas le démenti, le roi résolut de prêcher d’exemple. Il se fit meunier, non pas à la façon de son aïeul Louis XV, mais avec une générosité royale. Il prit sur sa cassette les fonds nécessaires pour faire construire à Saint-Quentin, sous la direction d’un ingénieur nommé Mousdly, le premier moulin à l’anglaise qu’ait eu la France.

Ici intervient encore Ouvrard. Il n’était pas de ceux que la nouveauté effraie : il la poussait au grandiose. Il conçoit aussitôt, dit-il dans ses mémoires, « le projet de supprimer les disettes en établissant des moulins anglais, mus par l’eau ou la vapeur, avec des moyens de conservation pour les grains. » Aux yeux du duc de Richelieu, Ouvrard était un oracle, du moins en matière de commerce et de finance. Avec l’appui et les éloges du premier ministre, le