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ne disait pas tout ce qu’on avait sur le cœur, et en ce sens la brièveté même semblait une malice. Ces vers à l’air morose ressemblent à ces stoïciens mécontens qui, sans faire d’opposition directe, se promenaient dans les rues de Rome, les cheveux ras, le sourcil haut, le visage chagrin, et qui n’avaient pas besoin de parler pour déclarer leur mécontentement. Les délateurs ne s’y trompaient pas et disaient: Voyez cet homme, c’est un ennemi de l’état! Cette morale d’école dans les satires de Perse, si on en comprend le ton, ne manque pas de courage. Le poète a l’air d’un combattant qui, sans frapper personne, menace tout le monde. Sa tristesse hostile a quelque chose de provoquant. En retournant sans cesse ces maximes déplaisantes aux puissances et qui peuvent être redoutables, il offense, il irrite, et s’il ne se sert pas toujours de ses armes pour blesser, il affecte de montrer à tous qu’il les tient à la main.

Nous ne parlons que de cette hostilité générale sans relever les traits qui sont peut-être des agressions directes ou détournées, mais dont le sens précis nous échappe, et dont il ne serait permis de parler qu’en les discutant. Ici nous ne pouvons qu’étudier l’âme du poète sans toucher à ce qui est incertain et en litige. Ce qu’on ne peut contester, c’est la foi de Perse dans le stoïcisme, c’est son enthousiasme moral qui éclate çà et là en admirables vers et qui sillonne d’éclairs l’obscurité ordinaire de ses ouvrages. Avec la candeur de la jeunesse et une sorte d’admiration fraîche pour les graves enseignemens qu’il a reçus, il voudrait les propager, et, tout agité encore par les paroles de son maître, il se charge de les répandre par la prédication poétique. « Venez, jeunes et vieux, venez apprendre de Cornutus quel est le but de la vie, et faire provision de route pour la misérable vieillesse. » L’indifférence publique pour la sagesse étonne son ingénuité ; il ne peut comprendre que les hommes négligent leur perfection intérieure et remettent au lendemain le soin de s’en occuper. Comme les sermonnaires chrétiens qui prêchent contre l’impénitence finale, il blâme cette éternelle attente et cette légèreté qui font toujours ajourner les bonnes résolutions. « Demain je m’y mettrai, dites-vous? — Demain ce sera comme aujourd’hui. — Est-ce trop demander? vous m’accorderez bien un jour, un seul? — Mais ce jour, quand il sera venu, ce lendemain sera perdu à son tour. Ainsi de jour en jour vos années s’écoulent, et vous avez toujours devant vous un lendemain. Vous courez après vous-même, comme la seconde roue d’un char court après la première sans l’atteindre jamais. » Que faut-il donc faire? Dépouiller le vieil homme, pelliculam veterem. N’allez pas croire qu’il suffise, pour acquérir la liberté intérieure, de refuser une fois par hasard l’obéissance à ses passions et de dire : J’ai brisé mes fers! Non, vos fers ne sont pas