Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

larmes?... Tout cela nie trottait par la cervelle, lorsque, aux premières lueurs du crépuscule, je pus, enfin délivré, tourner vers ma maison la tête de mon cheval. J’y arrivai plein de pitié pour moi-même, d’inquiétude sur les soucis qui attendaient au débotter un pauvre diable épuisé de fatigue et de faim. Ce fut une grande surprise et une grande joie de trouver le logis parfaitement vide et muet, les volets à demi baissés comme de coutume, sans aucune trace d’arrivée ou de bouleversement quelconque. Le plus grand calme régnait aussi sur le visage de la vieille Mary, quand elle vint m’ouvrir la porte.

« Eh bien! mon frère?... et ces dames?... lui demandai-je, voyant que les malles avaient disparu.

— Tous à l’hôtel, monsieur; tous partis dès que M. Rider a été descendu... J’avais prévenu la demoiselle que monsieur ne voudrait jamais d’enfans chez lui... Elle a fait chercher un cab, on y a chargé les malles, ils s’y sont empilés tous les trois, et...

— Quoi! vraiment? ils sont partis?» m’écriai-je avec un soulagement immense. Et de fait je ne pouvais en croire ni mes yeux ni Mary, qui perdait maintenant ses peines à s’excuser d’avance du mauvais dîner que j’allais faire après un retard si contraire à mes habitudes.

J’avais certainement un grand poids de moins sur le cœur, j’étais débarrassé d’une véritable inquiétude ; mais à cette satisfaction très réelle se mêlait un désappointement très réel aussi. On n’aime pas à voir déranger son programme, et la solitude, le calme dont j’étais entouré (véritables bienfaits du ciel!) ne m’inspiraient qu’une reconnaissance... contrariée. Mary n’a pas eu à se louer de cette disposition. J’ai critiqué avec une injustice palpable le dîner beaucoup trop cuit qu’elle avait à m’offrir. Mon Times ensuite m’apparut dépourvu de tout intérêt. Je n’ai pu mettre la main sur un volume qui stimulât à un degré quelconque ma curiosité distraite. Et j’aurais été forcé de me coucher à une heure infiniment trop bourgeoise, si je n’avais eu l’excellente idée de fixer par écrit les souvenirs de cette journée mémorable.


…… J’attendais ce matin une lettre de mon frère. Apres avoir été pendant cinq grands mois mon cauchemar et mon vampire, peut-être me devait-il quelques explications sur son brusque départ. S’il ne s’en est pas douté, tant pis pour lui. Son ingratitude me peine et me révolte. Je ne crois pas manifester en ceci une susceptibilité outrée... Mais d’où viennent ces retours pénibles? et comment ne suis-je pas plus joyeux d’une délivrance que j’ai tant souhaitée, implorée avec tant de ferveur?... Je devrais brûler un cierge