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LE
PRINCE VITALE
ESSAI ET RÉCIT À PROPOS DE LA FOLIE DU TASSE

À la campagne, quand il pleut, les après-midi sont longues. Mme Roch ouvrit un volume du Tasse et nous lut tout un chant de la Jérusalem. C’était plaisir de l’entendre, car sa voix est restée jeune, et elle prononce l’italien à ravir. Après dîner, elle se mit au piano et nous chanta la complainte d’Herminie sur un air qu’elle avait entendu autrefois à Venise. En ce moment, le baron Théodore entra. Il était revenu d’Italie depuis peu.

— À merveille, madame ! s’écria-t-il. En vous écoutant, je me croyais en gondole sur le Grand-Canal.

On se mit à raisonner sur le Tasse, qui était devenu le saint du jour.

— Savez-vous, mes amis, dit le baron, pourquoi ce grand homme est devenu fou ? Moi, qui vous parle, je l’ai appris à Rome l’an passé.

Et tirant d’une de ses vastes poches un portefeuille en maroquin rouge : — Il y a là dedans de quoi faire un livre ! dit-il fièrement. C’est vraiment le sac du procès.

— Homme à projets, dit Mme Roch, qui pourrait compter tous les livres que vous avez eus en portefeuille ? Le malheur est qu’ils y sont restés.

— Patience ! répondit-il. J’ai à peine soixante ans ; j’ai du temps devant moi.

— D’ailleurs, mon jeune ami, reprit-elle, ne vantez pas trop votre découverte. C’est le secret de Polichinelle. Tout le monde ne sait-il pas que Léonore…