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sir Charles Hotham qui fut envoyé pour négocier le mariage du prince de Galles avec la sœur du roi actuel, plus tard margrave de Bayreuth[1], et en même temps celui de la princesse Amélie avec le prince de Prusse. Il paraît que le feu roi était un homme irrésolu, brutal et détestant son fils. Sir Charles quitta Berlin sur un affront qu’il en reçut, car un jour qu’il lui faisait des représentations sur les procédés choquans d’un de ses ministres, le roi répondait : Nous avons eu assez de cela, et, jetant à terre une lettre qu’il tenait en main, il sortit de la chambre. Il était assez disposé à consentir au mariage de sa fille, mais il ne voulut jamais entendre parler de celui de son fils, d’autant moins que nous penchions plus pour le second que pour le premier.

« Sir Charles, dans sa correspondance, parle du roi actuel comme du jeune homme le plus modeste, le plus bienveillant, le plus timide, le plus humble qu’il ait jamais vu.

« ... Lorsqu’on apprit au roi de Prusse que nous avions pris Québec, il se tourna vers sir Andrew Mitchell[2], qui était près de lui, et lui dit : Est-ce vrai qu’à la fin vous avez pris Québec? — Oui, sire, répondit sir Andrew, avec l’aide de Dieu. — Comment! dit le roi, le bon Dieu est-il aussi de vos alliés? — Oui, sire, et c’est le seul à qui nous ne payions pas de subsides, répondit sir Andrew.

«Le roi, soupant à Leipzig en petite compagnie, demanda à Coccey, qui arrivait d’Angleterre, quelle espèce de vin les Anglais appelaient claret, et s’il pourrait lui en procurer. L’autre répondit affirmativement et promit d’en faire venir une pièce. — Une pièce! répliqua le roi, et combien cela coûte-t-il? — Un écu la bouteille, répondit l’autre. — En ce cas, dit sa majesté, faites-m’en venir douze bouteilles, et il faut que j’écorche un paysan saxon pour me rembourser. — L’histoire est parfaitement vraie, car Je la tiens du général Coccey, homme d’une véracité incontestable………………

« Quelqu’un que Frédéric voulait envoyer ministre en Danemark lui faisait des représentations sur l’insuffisance de son traitement, qui le mettait dans l’impossibilité d’avoir une table et un équipage. — Vous êtes un prodigue, dit le roi, car sachez qu’il est beaucoup plus sain d’aller à pied qu’en voiture, et que, pour manger, la table d’autrui est toujours la meilleure. »


En quittant Berlin, M. Harris se rend en Pologne. « Frauenstadt, écrit-il, est le premier relais polonais en sortant de Glogau. J’avoue que j’ai respiré avec plaisir l’air d’une république après tant de temps passé dans une contrée si despotiquement gouvernée. » Hélas! la Pologne était faite, à ce moment, pour inspirer plus de pitié que d’envie, et elle allait expier bien durement ses divisions et les abus d’une liberté mal comprise et mal réglée. M. Harris arrive à Varsovie à une époque pleine d’un douloureux intérêt. Sa narration animée ajoute quelques touches curieuses à la peinture bien

  1. Sophie Wilhelmine de Prusse, margrave de Bayreuth, qui a laissé deux volumes de curieux mémoires.
  2. Ministre d’Angleterre.