Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/641

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux pieds du crucifié tous les sages de la terre, en lui disant : Ils sont à toi, un rayon de ton esprit était en eux, que ta grâce leur soit donnée !… Les horizons se sont agrandis, les entrailles se sont dilatées. Que la tolérance est un mot froid et vide de sens ! La renaissance est animée de cette brûlante charité de l’intelligence qui s’en va recueillir avec amour dans les doctrines les plus défectueuses et les plus entachées d’erreur les moindres parcelles de vérité qu’elles renferment dans des filons cachés. Elle ne peut plus admettre un Dieu jaloux, avare de lui-même, qui a fait luire sa lumière aux yeux d’un seul peuple qu’il s’était choisi pour dépositaire de ses secrets, tandis qu’il laissait marcher le reste de la terre dans les ténèbres de la mort. Disparais, vaine distinction du profane et du sacré ! Il n’y a de profane que le vice, il n’y a d’impie que le mal ! Le Christ aux bras étroits est l’idole des fanatiques. Périssent les autels de cette divinité menteuse !… Dieu vrai, Dieu infiniment bon, dans tous les temps toutes vos créatures vous ont été chères, vous vous êtes révélé à elles selon diverses mesures, et les doctrines des gentils furent la préparation de votre Évangile, l’aurore sacrée de ce divin soleil !

Déjà le moyen âge avait entrevu cette grande vérité. Il était allé demander à la Grèce son Aristote pour en faire un ouvrier du Seigneur… Avez-vous jamais vu l’un de ces vieux tableaux qui représentent le géant saint Christophe faisant passer un torrent à l’enfant Jésus assis sur son épaule ? Le courant est rapide ; si petit que soit l’enfant, il pèse comme un monde ; le géant marche courbé, s’appuyant sur son bâton ; un rayon du soleil levant vient chercher son front et lui apporte une bénédiction du ciel… Aristote fut le saint Christophe du moyen âge, le géant de Stagyre fit passer à l’enfant Jésus le torrent de la barbarie.

Ce que le moyen âge avait commencé, la renaissance l’achève. Ce n’est plus Aristote seulement, mais tous les philosophes de la Grèce, et à leur tête le plus religieux de tous, Platon, qu’elle enrôle parmi les serviteurs de l’église, car, en dépit de leurs contradictions apparentes, elle croit à l’harmonie de tous leurs systèmes. La philosophie n’est pas l’ouvrage de la raison abandonnée à elle-même, elle a été inspirée d’en haut. Il y a, selon Ficin, de la religion dans la philosophie, comme il doit y avoir de la philosophie dans la religion. Le vrai philosophe est un prêtre, le vrai prêtre est un philosophe. C’est par le jeûne, par l’oraison, que Pythagore se rendait digne des illuminations de l’Esprit-Saint. Socrate a été une préfiguration du Christ. Et que dira Ficin de son cher Platon ? Se couvrant de l’autorité de saint Augustin, qui déclare que les vrais platoniciens sont presque chrétiens, il affirme que Platon a été visité