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Le troisième quartier de Yokohama, le Benten, formait jadis un village à part; il se trouve à l’extrémité nord de la ville, et tire son nom d’un temple vénéré appelé Benten-Sama-no-mia. Il est peuplé d’artisans et de pêcheurs, sans compter une multitude de moines qui desservent le temple de la déesse Benten-Sama. Cette idole entreprend de fréquens voyages à travers la province pour être livrée à l’admiration des fidèles. Lorsqu’elle rentre dans son temple, on célèbre à Benten des fêtes solennelles (madzouris), à l’occasion desquelles le village entier se transforme en véritable champ de foire; on y voit alors des lutteurs, des théâtres, des bêtes curieuses, des saltimbanques, etc. Benten ne renferme qu’une seule habitation européenne, le consulat hollandais. C’était en 1862 la résidence étrangère la plus grande et la plus belle de Yokohama.

Le Yankiro, le quartier des maisons de thé, a été relégué en dehors de la ville, où il occupe l’emplacement d’un marais qui a été desséché à grands frais. On y arrive par une étroite chaussée dont les deux extrémités sont gardées par de forts détachemens de soldats. Le Yankiro a été, dans l’espace de quelques années, deux fois détruit par le feu; il contient dans sa forme actuelle les plus belles maisons japonaises qu’on puisse voir à Yokohama. Il sert de demeure à neuf cents jeunes filles, chanteuses, danseuses et courtisanes que le premier venu a le droit de louer à la journée, à la semaine ou au mois. Lorsqu’un Japonais donne un grand repas, il est d’usage qu’il fasse venir un certain nombre de ces jeunes filles, qui, durant toute la fête, doivent jouer, danser et chanter. Le Yankiro est d’origine européenne : il a été institué sur la demande formelle d’un consul étranger qui espérait remédier ainsi aux rixes sanglantes entre Japonais et matelots européens, si souvent renouvelées dans les rues de Yokohama. Aussi à peine la construction du Yankiro fut-elle terminée que le propriétaire s’empressa d’en faire connaître publiquement l’ouverture. Un matin tous les étrangers, les consuls les premiers, reçurent un petit paquet contenant une tasse en porcelaine, un éventail en papier et une bande d’étoffe bleue. Sur la tasse était écrit en lettres japonaises et en caractères latins le mot YANKIRO, l’éventail déroulait aux yeux une vue à vol d’oiseau de cet établissement, et sur la bande on lisait en anglais en forme de légende : This place is designed for the pleasure of foreigners.

Le Japon est un étrange pays, et les Européens qui y résident pendant quelque temps ne peuvent se soustraire entièrement à l’influence de ses coutumes particulières. Personne ne s’offusqua le