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n’est point comme elle la personnification de tous les charmes de la femme, de toutes les grâces de l’intelligence se prostituant pour de l’or : Madelon n’est que la puissance du vice. Comme Marco, ce type de la fille de marbre crayonné par Alfred de Musset dans la Confession d’un Enfant du siècle, elle est morte aux sentimens humains ; comme l’Olympe de M. Augier, elle étouffe dans le cercle du monde régulier qu’elle traverse un instant, — et si le bourbier où elle se plaît ne la suivait partout, comme Olympe, elle aurait la nostalgie de la boue ; mais le coup de pistolet qui atteint sur la scène l’héroïne de M. Émile Augier est épargné à Madelon par M. About. Madelon est invulnérable ! Madelon, pour qui le vice est un gage d’éternelle jeunesse, remplace dans le roman de M. About la fatalité antique. C’est dire que l’auteur, pour lui frayer la voie, supprime hardiment et les résistances matérielles et les résistances morales : périssent la raison, la pudeur et la volonté des gens, puisque c’est le bon plaisir de Madelon ! Voilà un horizon bien noir, et le monde est bien près définir, si M. About ne force rien. Madelon marche de victoire en victoire, depuis l’heure où elle apparaît aux habitans de Frauenbourg, portant dans les plis de sa robe conjugale l’arrêt de mort de la ville et la perte des plus honnêtes gens. On la revoit enfin, à Paris, âgée de quarante-huit ans ou de trente-huit au moins, chez un prince d’Armagne nargué jadis par elle : et quand ce lion décrépit, vaincu, par le temps et par la débauche, n’est, plus qu’une ruine ambulante, la courtisane, qui s’est traînée d’orgie en orgie durant vingt ans ou plus, ne paraît pas même effleurée par l’âge, dont la griffe n’épargne pas les plus chastes ! En l’affublant du titre de comtesse Lena, l’auteur ne s’est-il pas souvenu d’une aventurière de notre époque, pétrie de la même fange que Madelon, et qui, s’étant couchée bohémienne, se réveilla comtesse en Allemagne par la grâce d’un autre Mathias XXIII ou XXIV ? Ainsi qu’il arrive d’ordinaire quand on outre les choses, M. About, en allant trop loin, s’est enlevé les avantages de l’idée qu’il voulait développer : Madelon n’épouvante pas, elle répugne, et finit par lasser le regard du spectateur incrédule qui la met au rang des gorgones mythologiques.

N’insistons pas. Le roman de M. About aurait de quoi défrayer amplement la critique : nous préférons signaler dans cet essai l’intervention de la satire, qu’il faudrait louer, si elle n’avait un caractère de monotonie extrême, s’il n’en résultait un excès de sarcasme et de bouffonnerie qui fatigue. Voltaire, puisqu’on n’a pas craint de rappeler un tel nom à propos de M. About, peut servir d’exemple en ceci qu’il ne riait pas toujours. Ce terrible railleur eut plus d’un cri pathétique, plus d’une inspiration éloquente : relisez pour vous en convaincre, si par hasard vous l’aviez oublié, non quelque page d’histoire, non quelque plaidoyer fameux en faveur de la raison et de la justice, mais tout simplement l’Ingénu, un conte qui est au chef-d’œuvre, et où l’auteur de Candide, cessant de badiner, décrit l’agonie de Mlle de Saint-Yves d’un trait ineffaçable, avec une forte et noble