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« messieurs des journaux et des académies, » pour tous ces « brochuriers, bêtes d’encre qui n’ont ni droiture, ni voyages, ni lecture, ni langue, » et qui s’arrogent le droit d’avoir une opinion lorsqu’ils ne pourraient pas être sous-préfets. Le lettré, pour M. Veuillot, est quelque chose au-dessous du crétin ; je n’invente rien : la condition littéraire est, selon lui, l’asservissement à tous les, vices, à toutes les vanités, et Trissotin rajeuni lui doit l’honneur d’un portrait en règle. Je n’aurai pas assurément la simplicité de controverser sérieusement avec M. Veuillot. Je ne dis pas que « ces messieurs des journaux et des académies » soient sans défauts, que le lettré soit exempt de faiblesses, que la condition littéraire n’ait point ses misères, et que Trissotin ait cessé de fleurir ; mais ce qui est certain, c’est que M. Veuillot, accoutumé à invoquer l’Évangile sans y puiser ses leçons, voit la paille chez son voisin, et qu’il est lui-même un spécimen assez complet du lettré tel qu’il le peint, avec ses vanités, sa médiocrité morale, ses ridicules et ses audaces. M. Veuillot a beau faire, il n’a pu dépouiller entièrement le vieil homme, et ici encore on sent chez lui l’écrivain qui a commencé par servir dans le bataillon des polémistes de préfecture, qui s’est élevé au-dessus comme bien d’autres par le talent, mais qui plus que bien d’autres a gardé le pli moral. M. Veuillot, quoi qu’il fasse, a du goût pour la petite presse, — je parle de la petite presse qui se donne toutes les libertés. Une affinité secrète l’attire vers la goguette injurieuse ; il a du penchant pour cette guerre qui consiste à multiplier les travestissemens grotesques, à jouer avec un nom, à faire passer une figure dans une image outrageuse. Du lettré, dans le sens le plus vulgaire du mot, M. Veuillot a très certainement l’intempérance, les vanités, l’amour du bruit, l’instinct outré de la personnalité, les procédés subalternes de discussion. M. Veuillot a la manie de faire la leçon à tout le monde, aux évêques sur la manière de conduire les affaires de l’église, aux philosophes sur la philosophie, aux historiens sur l’histoire, et même aux professeurs sur le latin. Oh ! pour le latin, M. Veuillot est très fort vraiment ; il découvre que « noble vient de nobilis formé de l’ancien mot noscibilis, connaissable, remarquable, distingué, » que l’église, avec le nom de la première femme Eva a fait ave, et avec Roma a fait amor ; il surprend l’université en flagrant délit de solécisme ou de contre-sens, et si le mot de cuistre vole dans l’air, — bon pour vous ! réplique-t-il ; « moi je suis un bedeau ; » vous, vous êtes les cuistres. — « Cuistres les gens d’université ! » cuistres les lettrés et les libres penseurs ! cuistres les hommes de 89 et tous ceux qui ont entrepris la régénération de la France par la liberté moderne ! « Fats ! s’écrie-t-il quelque part en s’adressant à peu près à tout son siècle, vous êtes bien hardis, bien menteurs, bien impudens, bien agaçans, bien forts, bien triomphans !