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ses grandeurs sans fermer les yeux aux bassesses, aux apostasies, aux versatilités insolentes. Il n’est pas défendu de voir d’un regard libre la comédie des mœurs et des caractères, des importances qui se guindent, des vices qui se déguisent en vertus, des vanités et des ridicules qui s’étalent glorieusement. La comédie est de tous les temps, et de notre temps peut-être plus que de ceux qui l’ont précédé, parce que le théâtre est plus vaste, parce qu’elle est dans la politique comme dans la vie mondaine ; elle se déroule partout : heureux qui peut la saisir ! plus heureux encore qui peut la fixer d’un trait prompt et ineffaçable ! La charité à ce jeu s’accommode comme elle peut pour qui fait profession de prêcher ; mais enfin on a le droit de rire et de se moquer comme on a le devoir d’accepter le poids des controverses plus graves où s’agite le problème des destinées religieuses et morales. Le malheur de M. Louis Veuillot, c’est de n’avoir jamais compris ni la vraie situation du catholicisme dans notre temps, ni le rôle de l’esprit au service d’une telle cause, c’est de n’avoir jamais paru soupçonner que la discussion n’est point le pugilat, que l’ironie diffère de l’outrage, et qu’une religion ne se défend pas comme une vanité exaspérée par la lutte. C’est son malheur, dis-je, c’est peut-être aussi la plus grande part de son originalité. Pour entrer dans un certain ordre de polémiques supérieures, il avait visiblement un trop léger bagage de connaissances ; certains côtés inférieurs de sa nature lui interdisaient la haute et magistrale ironie. Avec un fond d’instruction plus solide et plus étendu, ou plus de décence dans la satire, il n’aurait pas été ce qu’il est réellement, un pamphlétaire d’une verve audacieuse sans doute, mais inutile ou dangereux, qui n’a intimidé sérieusement aucun adversaire, n’a fait reculer aucune idée mauvaise, et dont la victoire la plus signalée, — victoire étrange pour un catholique de cette prétention, — a été un jour de faire capituler son évoque devant une plume plus forte sur la caricature que sur l’apologétique chrétienne.

Il y a vingt ans, disais-je, il y a même trente ans, si l’on compte bien, que M. Veuillot mène cette vie hasardeuse des polémiques à outrance, le sarcasme à la bouche, l’arc toujours tendu, guerroyant sans cesse contre quelqu’un : écrivain se servant de son esprit contre les écrivains et contre la profession littéraire elle-même, homme de la presse s’escrimant contre la presse, homme du petit peuple épuisant son haleine à souffler contre la révolution qui a affranchi le peuple. Le catholicisme est devenu un certain jour le mot d’ordre de cette guerre : encore faudrait-il voir ce qu’est ce catholicisme et comment à cette passion de combattre pour l’église se mêlent en réalité bien d’autres choses qui ne s’expliquent peut-être que par les conditions premières où s’est formée cette nature incomplète et