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le temps. On en sent mieux le prix par un rapprochement entre la grande industrie, que la loi écrite tempère, et les petites industries domestiques, qui, échappant à ses prescriptions, n’ont de garantie que dans le progrès des mœurs. C’est sur ce point que l’effort doit être désormais porté. L’enquête de 1843 a jeté sur ce sujet des clartés sinistres. On sut alors ce qui se passe dans ces foyers restreints, où l’activité manuelle est seule en jeu, et qui n’ont pas pour auxiliaire la force de l’eau ou de la vapeur. On apprit, par des récits douloureux, de quels excès, de quelles odieuses exploitations la famille même était le siège. Aucune règle dans le travail ni pour le temps ni pour l’âge, aucun soin pour les bienfaits de l’instruction : des enfans de cinq ans cloués sur leurs établis, tandis qu’ils auraient eu besoin d’air et de soleil ; des tâches de dix heures au moins souvent poussées jusqu’à quinze heures dans les momens de presse ; point de tutelle pour les apprentis, loués par leurs parens comme on loue des bêtes de somme, et en butte aux plus abominables traitemens de la part des maîtres grossiers qui spéculaient jusque sur leur nourriture. Ici c’est un forgeron, Robert Jones, qui donne à ses apprentis des alimens dont les porcs ne voudraient pas, et les fouette quand ils les refusent ; là c’est une Mme Turner qui avoue effrontément que, pour obtenir quatorze heures de travail des enfans de son atelier, il faut nécessairement jouer du bâton, sans quoi ils s’endorment sur l’ouvrage, et qui, lorsqu’on lui parle de l’école et de l’église, répond qu’elle n’a pas de ces soucis, et que tout est bien, pourvu qu’ils aillent de la besogne au lit et du lit à la besogne. Ailleurs ce sont des enfans qu’on charge de poids trop lourds et dont l’épine dorsale est déviée, d’autres dont la tâche est réglée à mille clous par jour, et qui n’ont leur pleine ration de vivres que lorsqu’ils arrivent à ce nombre : vingt traits semblables qu’il serait aisé de multiplier, si un sentiment de dégoût ne retenait la plume ! Ces barbaries de la cupidité privée n’étaient circonscrites ni dans quelques localités ni dans quelques professions ; on en retrouvait partout des traces : dans les mines, dans les charbonnages, dans les tissages, dans les ateliers de métaux, surtout à Wolverhampton et à Willenham.

Depuis cette enquête, des changemens sensibles ont marqué un retour vers une conduite plus humaine. Pour produire un premier bien, il a suffi que l’opinion émue se portât au secours des classes si cruellement traitées, et que le zèle volontaire s’échauffât à ces récits. Mieux surveillés, ces excès ont diminué en nombre et en gravité. Restait l’action de la loi ; mais combien la matière était délicate ! On se trouvait en présence des privilèges de la famille ou de ce qui en usurpait le nom. Quelles dispositions prendre qui ne fussent