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toujours inassouvi. Chez la plupart des peuples, du moins chez les nations de l’Occident, la notion du juste a précédé celle de l’injuste, comme l’indique la composition de ce dernier mot dans les diverses langues, in-juste, un-gerecht, in-iquus, a-dikos, etc. Chez les Botocudos, c’est tout le contraire : l’état normal, c’est le voleur, nyin-kêck. Un honnête homme sera par conséquent un non-voleur (nyin-kêck-amnoup). De même le mensonge (iapaouin) étant l’habitude, la règle, la vérité deviendra iapaouin-amnoup (un non-mensonge).

Quelle peut être l’origine du disque de bois enchâssé dans la lèvre inférieure et qui leur a valu le nom de Botocudos[1] ? Je l’attribuais à une pratique sacerdotale dont la raison s’était facilement perdue chez une peuplade sans traditions, lorsqu’un infatigable voyageur, M. Biard, est venu nous apprendre qu’il avait vu ce disque leur servir de table. Ce n’était là probablement qu’une gracieuseté de quelque jeune Botocudo qui voulait mériter un verre de cachaça. Cette mise en scène ne serait plus possible chez un individu d’un certain âge, car alors la lèvre, obéissant au poids du disque, se replie sur le menton. J’ai vu un chef de ces sauvages, nommé capitão par l’empereur du Brésil, qui avait consenti à accepter un pantalon et à quitter ces affreux bijoux. Les chairs de la lèvre s’étaient assez rapprochées pour fermer la plaie, et ne laissaient plus voir qu’une énorme cicatrice ; mais les lobes des oreilles, moins charnus que la lèvre et moins accessibles au mouvement vital, n’avaient pu reprendre leur ancienne forme. Ils arrivaient presque aux épaules, formant deux anneaux dont l’ouverture mesurait environ deux pouces de diamètre.

Chez les peaux-rouges comme chez toutes les peuplades primitives, ce sont les femmes qui font tous les travaux de la tribu. Elles bâtissent les huttes, portent les bagages et les enfans dans les marches, tissent des étoffes de joncs, et fabriquent les vases d’argile dont elles se servent dans le ménage. L’unique industrie réservée aux hommes est la fabrication des flèches, leur seule occupation la chasse ; tout autre travail serait indigne d’eux. On comprend sans peine qu’à la suite d’un esclavage si dégradant et si pénible, l’Indienne, ne connaissant rien de ce qui développe les qualités de la femme, soit restée ce qu’elle était au sortir du moule de la nature ; déformée parle travail, défigurée par les mauvais traitemens, n’appartenant à la vie que par le côté matériel, elle ne peut qu’inspirer du dégoût à celui qui la voit pour la première fois. Observez ses yeux, vous y surprendrez le regard oblique et craintif de la bête fauve, et rien de ce magique rayon qui révèle l’intelligence. Le sentiment

  1. Botoque signifie en portugais tampon de barrique, d’où le nom de Botocudos, — les hommes à la botoque.