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ait été aussi général et aussi absolu qu’il le paraît au premier abord. Mme de Sévigné n’est morte que tout à la fin du siècle précédent. Nous trouvons dès le commencement de celui-ci les Avis à son fils et à sa fille de Mme de Lambert, puis vient l’Emile de Rousseau, et avec lui une révolution complète. La modification qui se fait dans les idées est trop soudaine, il est vrai, pour qu’on puisse la croire bien sérieuse et profonde. Il faut se méfier beaucoup de ces changemens à vue. C’est un enthousiasme de tête plus qu’autre chose. L’affaiblissement du sentiment maternel à cette époque est dû à une cause palpable, le discrédit où est tombé le mariage, et par suite le relâchement des liens de la famille. Un livre, quelque éloquent qu’il puisse être, ne peut tenir lieu des mœurs et des convictions. On se passionne pour les idées de Rousseau comme pour les fantasmagories de Mesmer ou de Cagliostro. C’est avant tout du besoin d’agitation et de l’inquiétude d’esprit ; mais encore y a-t-il là quelques indications qu’il ne faut pas négliger. Du reste, ces sentimens de la famille s’étaient conservés très vifs dans le peuple et dans la bourgeoisie, comme en témoignent tant d’ouvrages de littérature et d’art de cette époque : le Père de famille de Diderot, la Bénédiction et la Malédiction de Greuze, et toutes ces compositions merveilleuses de Chardin, où le bonheur domestique s’exprime d’une manière si naïve et si touchante, et qui se résument dans son Benedicite, véritable perle de sentiment et d’expression.

Le XVIIIe siècle fut, avant tout, un siècle de sociabilité. Ses salons sont ses tribunes ; c’est là qu’est la vie, c’est là que s’agitent toutes les idées, toutes les passions qui l’occupent. C’est dans les réunions brillantes du Palais-Royal, du Temple, ou chez la maréchale de Luxembourg, que se forme cette société enjouée et polie, dont l’amabilité, le bon goût, la légèreté, les raffinemens sont l’exquise et dernière expression d’une civilisation qui finit. Les femmes jouent un rôle très important dans ces réunions ; elles en sont le motif et le lien. Elles ne s’associeront jamais peut-être autant qu’elles le firent alors à ces préoccupations sérieuses qui sont d’ordinaire le domaine presque exclusif des hommes. Leur témérité naturelle, leur imprudence généreuse, le mépris qu’elles ont du danger, les portèrent du premier coup aux extrêmes. Elles furent l’auditoire excitant qui exalte l’orateur par d’ardentes approbations, et qui lui renvoie sa parole centuplée par un sympathique écho. Leur influence fut immense, et, à tout prendre, salutaire ; mais est-ce une raison pour dire comme le font MM. de Goncourt : « Tout ce qu’une religion attire à elle d’illusions, de prières, d’aspirations, d’élancemens, de soumissions et de croyances, se tourne insensiblement vers la femme ?… La femme arrive à être pour le XVIIIe siècle non-seulement le dieu du bonheur, du plaisir et de l’amour, mais l’être poétique, l’être sacré par excellence, le but de toute élévation morale, l’idéal humain incarné dans un siècle de l’humanité ? » Comment ! ces femmes que vous nous avez représentées si futiles sont en même temps les inspiratrices et les divinités du siècle de Voltaire et de Montesquieu ? On croit rêver. Elles ne sont ni