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iront par les nies, criant : Qui a des morts ? N’y a-t-il plus de morts ?… » Ne reconnaît-on pas dans les accens de cette voix terrible que le grand artiste avait entendue, et qui, nous le savons, le hanta toute sa vie, la même impression de religieuse terreur et aussi la même audace d’expression qui nous étonnent et nous troublent aujourd’hui dans la fresque du Vatican ?

Si cela est vrai, c’en est assez assurément pour la réfutation de ceux qui ont cru pouvoir représenter Savonarole comme un ennemi des lettres et des arts ; ceux-là ont commis la faute de ne pas mesurer à sa vraie grandeur une âme peu commune. D’autres juges ont pensé que Savonarole eût ramené l’art dans les voies exclusivement religieuses où il était resté enveloppé pendant le XIIIe et le XIVe siècle, à l’époque des Cimabué et des Giotto. Comment admettre cette étroitesse de vues attribuée au même homme qui, dans un temps aussi éclairé que celui de la renaissance, a exercé sur tous les principaux artistes ses contemporains, et particulièrement sur le grand Michel-Ange, une influence si décisive et si profonde ? Ces hommes qu’on nous représente si souvent, et non sans raison, comme les précurseurs privilégiés de l’esprit nouveau, fussent-ils tombés dans cette grossière confusion d’adopter comme un des leurs, bien plus de vénérer comme un père et comme un maître, tu maestro, tu duca, tu signore, un étroit et aveugle partisan du passé ? Comment celui qui réclamait dans l’éducation de son temps, à côté d’une profonde et sérieuse étude des livres saints, une large place pour la lecture et la fréquentation des grandes œuvres de l’antiquité, comment un tel homme n’eût-il pas été capable de pressentir l’essor de l’art italien au XVIe siècle, et, une fois pressenti, de l’accueillir avec orgueil et joie ?


Les hommages décernés à Savonarole ne se sont pas bornés à son temps. Après sa mort, son souvenir fut honoré d’un culte à la fois religieux et politique, et ses sectateurs (on peut leur appliquer ce nom) furent poursuivis ou respectés eux-mêmes selon les vicissitudes par lesquelles Florence dut passer. Dès le pontificat qui suivit celui d’Alexandre VI, la persécution sous laquelle avaient péri Savonarole et ses deux compagnons s’apaisa, car le nouveau pape Jules II n’était autre que ce fougueux cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens qui, légat en France, s’était mis à la tête du même parti politique dont Savonarole avait été le chef dans Florence. Au milieu du siècle, sous le règne de Paul IV, une commission de la congrégation de l’Index fut chargée d’examiner les écrits de Savonarole et de décider s’ils méritaient le reproche d’hérésie. Cette commission, se réunit à Rome, dans le couvent des dominicains de la Minerve, et