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À partir du coup d’état de 1861, les relations des légations avec le prince Kong devinrent, sinon profitables, du moins plus directes. Nos plénipotentiaires purent mieux juger les finesses de la diplomatie chinoise, avec ses faux-fuyans et ses longueurs interminables. Après avoir pendant plus d’un an exécuté loyalement les traités, les alliés étaient en droit d’exiger de la cour de Pékin la même fidélité à la foi jurée. Cependant les persécutions contre les missionnaires et les chrétiens, un moment apaisées, reprenaient déjà, et de toutes les provinces s’élevaient des plaintes contre la cruauté des mandarins, toujours mortels ennemis de nos idées. Dès que ces tristes nouvelles parvenaient aux ministres ou aux amiraux alliés, ils obtenaient, à force de fermeté, des destitutions, des réparations matérielles, des rectifications de l’esprit et de la lettre des traités, si diversement appliqués par les gouverneurs de province. On s’aperçut alors que la religion chrétienne était mise sur le même pied d’infamie que les autres croyances du peuple, si méprisées des mandarins, qui, pour torturer encore nos missionnaires, faussaient effrontément l’article du traité relatif à la liberté du culte catholique. Il fallut une nouvelle convention, en date du 7 avril 1862, pour rendre aux mots leur véritable sens, et de ce jour seulement date l’émancipation des chrétiens en Chine.

Ces mille difficultés, ces petits pièges, qui, même lorsqu’ils ne sont rien dans le fond, deviennent profondément blessans dans la forme, surgissaient à chaque instant, sans altérer gravement toutefois nos rapports avec la cour de Pékin tels qu’ils existaient depuis la paix. Aussi, jusqu’au mois de décembre 1861, en supposant que la prudence de nos ministres fût secondée par la sagesse des missionnaires et des autres résidens européens, on pouvait espérer que les relations avec le gouvernement impérial resteraient longtemps bonnes, sans chocs, bien que sans progrès de notre part dans l’esprit du peuple. Les Chinois en effet, jugeant, comme toujours, sur les apparences, ne voyaient en nous que leurs mauvais génies. Ils avaient été persécutés à cause de l’opium vendu par les Anglais et torturés pour avoir écouté la parole divine prêchée par les Français. En souvenir de tous ces maux que les Européens leur avaient apportés, les Chinois nous appelaient les diables occidentaux, et ne pouvaient comprendre que la responsabilité de tout le sang versé dans deux grandes guerres retombât sur leur gouvernement. Après une occupation militaire de plus d’un an, la position des Européens devant la nation chinoise n’était pas sans quelque analogie avec celle des Juifs au milieu des populations du moyen âge. Nous étions supportés comme, un mal dont on ne pouvait se débarrasser, mais nous ne pouvions nous rattacher par aucun point commun à tout cet immense peuple, qui, dans son ignorance, voyait en nous ses fléaux. Ce préjugé, habilement