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et le crédit. Consentirait-elle à s’associer à des manifestations contraires à sa croyance non moins qu’aux lois de l’empire? On pouvait répondre, il est vrai, que le sénat, abandonné par le gouvernement impérial, rentrait dans sa liberté, que ce gouvernement, malgré ses préférences catholiques, ne pouvait trouver mauvais que Rome tentât un dernier moyen de salut tiré de la religion romaine, et qu’après tout le peuple s’irriterait à bon droit, si ses magistrats repoussaient par des scrupules personnels un remède possible à sa détresse, et si les sentimens d’une faible minorité contrariaient trop violemment le vœu du plus grand nombre. Ces réflexions traversèrent l’esprit de Pompéianus pendant sa conférence avec les aruspices toscans : il les congédia en leur faisant espérer qu’il mettrait leur habileté à l’épreuve; mais, désireux pour sa propre responsabilité de consulter avant tout le pape Innocentius, chef actuel de l’église romaine, il se rendit à son palais.

La demeure des successeurs de saint Pierre ne ressemblait guère alors à la pauvre cabane que le premier évêque de Rome avait pu habiter sur les pentes du Vatican, ou dans le quartier des Juifs, réceptacle de la plus vile populace. Ils occupaient, au temps dont nous parlons, un palais magnifique, embelli de toutes les merveilles des arts, et où rien ne manquait de ce qui peut rendre la vie élégante et délicate. On ne les voyait sortir que traînés dans un char éclatant, vêtus de soie et d’or, et le dîner qui les attendait au retour surpassait en recherche et en profusion les festins des empereurs. Ce tableau, que traçait au milieu du IVe siècle l’historien Ammien Marcellin, était encore plus vrai sous les fils de Théodose, quand le sacerdoce chrétien était devenu une magistrature marchant de pair avec les plus hautes dignités de l’état. Ce n’est pas que l’évêque actuel de Rome jouît immodérément d’une situation créée par la grandeur même du catholicisme; bien loin de là. Innocent, homme savant et modeste, s’occupait au dedans de la discipline de son église, et cherchait à calmer au dehors les troubles suscités en Orient par l’esprit impérieux de Jean Chrysostome. Né dans la ville d’Albe, d’une souche probablement ancienne, il joignait à la foi la plus sincère et la plus éclairée cette finesse d’intelligence et cet esprit de gouvernement qui distinguèrent de tout temps les vieilles races italiques. Dans le domaine des intérêts temporels. Innocent était Romain de cœur, autant du moins qu’un chrétien pouvait l’être à cette époque de lutte passionnée; les païens lui rendaient cette justice. En reportant à un tel homme, respecté de tout le monde, la confidence qu’il venait de recevoir, le faible et flottant Pompéianus avait évidemment pour but de rejeter sur le chef de l’église catholique la responsabilité qui incombait naturellement au préfet de la ville ou du moins de la lui faire partager.