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dans aucun pays, et particulièrement dans le nôtre. Les temps où elle n’a pas prévalu font exception dans notre histoire, et le cours de la révolution française a été entrecoupé par de semblables réactions, que l’esprit de parti seul peut ne pas trouver naturelles. Que ces réactions ne soient pas l’œuvre des esprits les plus fermes et les plus élevés du pays, la chose est évidente ; mais la société n’est pas destinée à toujours suivre les plus élevés et les plus fermes des esprits. Si elle en était constamment capable, on peut dire qu’elle n’aurait plus besoin d’eux : elle se conduirait elle-même.

La révolution française n’a été ni assez heureuse ni assez sage pour enchaîner à tous ses principes, à toute sa cause la fidélité nationale. Comme l’astre du ciel, elle éclaire bien toutes nos journées mais elle a, comme lui, ses inégalités et ses saisons : sa lumière est plus pâle ou plus vive, et luit plus ou moins longtemps sur nos têtes. Notre monde social a ses mornes hivers et ses radieux étés Le jour le plus brillant a son déclin. Le miracle de Josué ne s’est pas renouvelé dans la politique : il faut donc céder à l’empire des faits ; mais, si l’on doit s’attendre à ces oscillations tant que le sort définitif d’une grande nation n’est pas fixé, si l’on doit des égards aux sentimens excusables de prudence et de découragement qui s’emparant des individus, intimident l’esprit public, on peut se montrer plus difficile envers les systèmes qui ne manquent pas d’éclore à la suite de ces retours d’opinion pour leur servir d’apologie doctrinale. Les hommes ne se contentent pas de céder à un mal in évitable ; puisqu’ils y cèdent, ils veulent que ce ne soit pas un mal, et ils inventent sur-le-champ des raisons pour prouver que c’est un bien. Leur amour-propre ne s’accommoderait pas du rôle modeste de serviteurs des événemens ; point d’évolution dans l’opinion qui n’ait immédiatement sa théorie. Ne nous croyons pas tenus d’y déférer sans résistance ; seulement convenons qu’on peut avec beaucoup d’esprit soutenir qu’il y a soit dans une société, soit dans l’humanité même, un contingent permanent d’erreurs, de vanités et de passions formant un insurmontable obstacle à la durée du règne de la raison nécessaire au maintien d’un état libre. On peut sur ce fondement faire échec à toutes les espérances qui parent les destinées futures de la société. Nous pouvons tous les lundis voir cette thèse spécieuse et décourageante reproduite sous les formes les plus ingénieuses et dans ses applications les plus variées. J’accorderai même que, pour des raisons fort différentes, elle aurait fort bien pu séduire également Bossuet et Voltaire. Ceux qui la rajeunissent aujourd’hui voient que je les mets en bonne compagnie, et elle est si bonne qu’ils me permettront de les y laisser, et qu’ils s’y passeront aisément de la mienne.

Mais voici d’autres gens d’esprit, nullement dégoûtés des choses